La révolution féministe ne se fera pas dans la subtilité

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La révolution féministe ne se fera pas dans la subtilité, mais avec encore et encore des coups de gueule et des coups d'éclat.

« Ma rage ne tient pas sur une pancarte », marche féministe à Los Angeles, en janvier 2017 - Philip Pilosian / Shutterstock

J’ai hésité avant d’écrire cet édito. Non pas parce que je ne suis pas 100 % d’accord avec les propos et les points de vue d’Alice Coffin, et ulcéré suite aux agressions qu’elle a subies, mais parce que me revenait ce slogan des féministes : « Ne nous libérez pas, on s’en charge ». 

 

Il ne s’agit pas pour moi de venir défendre Alice, elle s’en charge bien toute seule. L’histoire des féminismes n’a pas été un long fleuve tranquille. Certaines femmes engagées étaient plus radicales que d’autres et ce à toutes les époques. Il a fallu cette radicalité pour faire bouger les lignes, de la même façon que le mouvement des droits civiques aux États-Unis avait en son sein des mouvements plus radicaux ou que, plus près de nous, la lutte contre le VIH/sida avait besoin de mouvements activistes comme Act Up.

Souvenons-nous juste pour n’en citer qu’une d’Olympe de Gouges, qui en 1791, rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle fut guillotiné, en pleine Terreur, en 1793. Le procureur de la Commune de Paris de l’époque, pourtant un révolutionnaire lui-même, n’a-t-il pas écrit : « [cette] virago, la femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes… ».

Alice Coffin nous propose une vision du monde et de notre société diamétralement différente de ce qu’on a l’habitude de lire.

Alice Coffin est une féministe engagée. Elle ne se contente pas d’écrire des livres, elle fait bouger les choses. Qu’est-ce que l’engagement ? Qu’est-ce qu’une journaliste engagée ? Alice Coffin, par ses analyses précises, ne fait que suivre finalement ce que prônait Jean-Paul Sartre quand il créé en 1945 la revue Les Temps modernes : « La capacité de saisir intuitivement et instantanément les significations, l’habileté à regrouper celles-ci pour offrir au lecteur des ensembles synthétiques immédiatement déchiffrables sont les qualités les plus nécessaires au reporter. »

J’hésitais donc à apporter ma pierre à l’édifice mais c’est nécessaire qu’on puisse, en solidarité entre gays et lesbiennes, se soutenir les un.e.s les autres. L’essayiste lesbienne Caroline Fourest n’a, elle, pas pu s’empêcher de critiquer les écrits d’Alice Coffin coupables à ses yeux de véhiculer « cette approche essentialiste, binaire et revancharde qui abîme des années de révolution subtile et flatte les clichés antiféministes ». Refrain bien connu des minorités : « Vous tendez des cordes pour vous faire battre. » Ou dans un registre LGBT+ : « Vous donnez une mauvaise image de l’homosexualité », une phrase entendue longtemps à propos des cortèges de la Marche des fiertés.

Je ne sais pas ce que c’est qu’une « révolution subtile ». Ce que je constate, c’est que des militantes, des femmes engagées comme Alice Coffin, et tant d’autres, n’y croient pas beaucoup quand trois femmes meurent toutes les heures dans le monde sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Elles n’ont plus envie de révolution subtile quand en France, trois plaintes pour viol sur quatre sont classées sans suite.

« N’en déplaise à Caroline Fourest, la révolution féministe ne se fera pas dans la subtilité, mais avec encore et encore des coups de gueule et des coups d’éclat. »

N’en déplaise à Caroline Fourest, la révolution féministe ne se fera pas dans la subtilité, mais avec encore et encore des coups de gueule et des coups d’éclat. La bonne nouvelle, c’est qu’Alice Coffin, comme Raphaëlle Rémy-Leleu, sont désormais au cœur de la machine, élues EELV au Conseil de Paris et toujours radicales. Et on a vu ce que leur radicalité pouvait donner.

On comprend alors sans doute mieux le pourquoi de toutes ces attaques, de tous ces cris d’orfraie, de ces atteintes graves à la dignité humaine, de ce refus de débattre de beaucoup d’hommes et de certaines femmes. Les féministes radicales veulent aussi prendre le pouvoir et c’est bien cela qui fait peur.

Me revient une autre citation, qui va me servir de conclusion. Elle nous vient de Ruth Bader Ginsburg, militante de très longue date pour les droits des femmes, membre de la Cour suprême et décédée le 18 septembre : « Quand on me demande parfois quand y aura-t-il suffisamment [de femmes à la Cour suprême] et que je dis :« quand il y en aura neuf », les gens sont choqués. Mais il y a eu neuf hommes, et personne n’a jamais posé de question à ce sujet. »