Agrocuir : dans un petit village espagnol, un festival queer met en avant la diversité du monde rural

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Depuis 2013, le village de Monterroso accueille Agrocuir, un festival queer (cuir en galicien) unique. Komitid s’est rendu dans ce village du nord de l’Espagne pour découvrir un monde rural divers, riche et beaucoup plus ouvert qu'on pourrait croire.

Plusieurs dizaines de femmes suivent Uxia, dans les rues de Monterroso, avant un match de foot - Teresa Suárez pour Komitid

Vendredi 30 août, 16 heures, sur la place de la mairie de Monterroso (Galice), une quarantaine de femmes habillées avec des maillots de football suivent la jeune Uxía qui transporte une énorme enceinte dans une brouette (photo de couverture). Sur la musique de Wanabbe des Spices Girls, des femmes du village portent des drapeaux arc-en-ciel et encouragent les plus jeunes à danser dans la rue, créant ainsi une petite marche des fiertés improvisée jusqu’au terrain de football.

Teresa Vázquez, propriétaire d’une boucherie dans la rue principale du village, est la capitaine de l’équipe locale. « Il y a quelques mois, des filles du collectif Agrocuir ont demandé aux commerçantes du village de participer à ce match. Je n’ai jamais joué au foot mais j’aime bien la fête donc je me suis dit pourquoi pas ? » explique-t-elle en souriant, bracelet arc-en-ciel au bras. Presque 300 personnes sont venues encourager les deux équipes qui se disputent sous le soleil galicien ; un chiffre remarquable pour un match de 35 minutes, dans un village de 3 200 habitant.e.s qui a accueilli presque 1 500 personnes lors de ce dernier week-end d’août, toutes désireuses de découvrir la diversité du monde rural à travers une programmation riche en activités, conférences et concerts.

 

Envie commune

 

Fondé par un groupe de 12 personnes d’âges, d’origines, d’identités, de professions et de connaissances différentes, le festival Agrocuir est né en 2013 avec une envie commune de montrer qu’à la campagne, la diversité existe et qu’elle n’a rien à envier aux grandes villes.

« D’un côté, on voulait montrer qu’on existe, nous rendre visibles », explique Adrián Gallero, membre du collectif Agrocuir. « On aimait bien l’idée de pouvoir célébrer notre fierté chez nous, dans un cadre plus proche et plus similaire à notre quotidien, sans être obligés de partir à Madrid ou à Barcelone. À cette époque, cette alternative n’existait pas mais au fur et à mesure, des initiatives semblables ont commencé à apparaître dans des villages similaires. Cela démontre que ces types d’espaces sont nécessaires », précise-t-il.

« Le festival se déroule dans un cadre parfait, avec des gens très divers en âges, origines,…etc. Très loin de la normativité queer citadine »

Les premières éditions du festival se déroulaient sur une seule journée où quelques 300 personnes étaient accueillies dans la ferme Maruxa, une exploitation laitière écologiste située à quatre kilomètres de Monterroso. Aujourd’hui, le festival ne cesse de s’agrandir avec la venue de nouveaux et nouvelles participant.e.s comme Xoel Gómez, originaire du village d’Oporiña.

Autour d’une table, en compagnie de quelques amies, Xoel présente le collectif « Comité « Marikasxlafiesta » (Des pédés pour la fête) qui cherche à créer des espaces alternatifs pour la communauté queer, en y incluant les traditions galiciennes. « Le festival se déroule dans un cadre parfait, avec des gens très divers en âges, origines,… etc. Très loin de la normativité queer citadine. C’est incroyable, je ne peux en demander plus » s’exclame Xoel avec un grand sourire.

 

Xoel Gómez pose avec une des affiches d’un des derniers évènements de son comité Marikasxlafiesta – Teresa Suárez pour Komitid

Le festival a été financé grâce à un crowdfunding, permettant sa gratuité et l’accessibilité pour tous.tes. Le matin, des associations locales profitent du festival pour présenter leurs projets autour des questions féministes, antiracistes, queer et ou écologistes. On y trouve aussi divers ateliers comme ceux de danse traditionnelle, de réalisation en céramique ou de confection d’instruments BDSM en caoutchouc… parmi tant d’autres.

Au milieu de la foule, Rogelio López ne peut s’empêcher de bouger ses pieds au rythme de la musique des Pandereteiras sen fronteiros. (Tambourines sans frontières). Président de l’association des voisin.e.s de Monterroso, il participe au festival depuis sa première édition : « Les gens du village sont de plus en plus familiarisés avec le programme. C’est impressionnant, ils s’impliquent et aident, ça fait du bien », confie-t-il.

La participation des voisin.e.s comme Rogelio aide à ce que le festival soit une date à retenir dans le calendrier des fêtes du canton. « Beaucoup de gens des alentours viennent avec leur nourriture, comme ça a toujours été le cas lors des fêtes ici. Nous essayons de suivre l’esprit des fêtes traditionnelles et je crois que ça, c’est quelque chose qui aide à faire venir les locaux », affirme Adrián Gallero, membre du collectif organisateur.

« L’Agrocuir mélange deux choses très importantes pour moi : le monde rural, mon village, ma terre galicienne et l’intégration de la diversité dans les villages »

Renouer avec ses racines

Nombreuses sont les personnes qui renouent avec leurs racines pendant le festival comme Virginia Vidal, galicienne d’origine et travaillant actuellement dans un hôpital de Madrid : « L’Agrocuir mélange deux choses très importantes pour moi : le monde rural, mon village, ma terre galicienne et l’intégration de la diversité dans les villages. C’est très beau. » Cependant, Virginia est consciente qu’il reste des choses pour lesquelles on doit se battre. « C’est vrai qu’en comparaison avec d’autres pays, on a de la chance en Espagne. Il existe des lois pour protéger les personnes LGBT+, l’État essaie de tenir compte de cette diversité mais il y a encore des problèmes. Les personnes intersexes par exemple continuent à souffrir de mutilations, l’attention médicale portée aux personnes LGBT+ est encore très superficielle, c’est un des choses pour lesquelles je travaille dans mon hôpital », manifeste la jeune docteure.

Les quartiers des grandes villes comme celui de Chueca à Madrid ou d’el Eixample à Barcelone sont considérés comme des eldorados de la diversité sexuelle en Espagne. Toutefois, le collectif Agrocuir relativise et nuance cette conception expliquant que l’anonymat créé aussi des problèmes.

Gabi Reboredo donne des instructions au rythme du pandero pendant le cours de danse traditionnelle – Teresa Suárez pour Komitid

Artistes invité.e.s

Avec le coucher du soleil, il est temps de passer au camping, de se reposer un peu et de chercher un pull chaud pour continuer à faire la fête. Pendant les deux jours du festival, les rues du village se parent de drapeaux arc-en-ciel de huit couleurs. La première nuit, le kiosque à musique de la place du Froito accueille des artistes invité.e.s, comme la Nantaise Mounqup ou le performeur Nelu Vermouth, qui hypnotise l’assistance avec sa voix accompagnée du tambourin. « Beaucoup d’entre nous avons quitté nos villages d’origine pour des villes, cherchant une sécurité qui en réalité n’existe pas. L’homophobie est aussi présente dans les grandes villes, et être ici, dans ce contexte, est incroyable. Tout le village participe, personne ne te juge, c’est beau », proclame le performeur.

Ainoa Vázquez, habitante de Monterroso, boit un verre avec ses amies en attendant la suite des concerts. « Chaque année, on attend le début du festival avec impatience, on rencontre plein de personnes différentes et ça fait du bien à tout le monde », confie-t-elle.
Sur la place, les musiques électroniques se mélangent à la cumbia et aux sons traditionnels. Du voguing à la muñeira, danse typique galicienne, tout le monde profite de ce mélange culturel et générationnel qui caractérise autant le travail du compositeur portugais Omiri, tête d’affiche. Il a clôturé cette sixième édition du festival Agrocuir da Ulloa qui démontre, une fois de plus, que le monde rural n’a rien à envier aux grandes villes.