Avec « Ma Vie avec John F. Donovan », Xavier Dolan éreinte Hollywood dans un plaidoyer pour le « coming out »

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Dans son septième long métrage, « Ma Vie avec John F. Donovan », le réalisateur québécois Xavier Dolan signe un plaidoyer pour l'importance de role models et pour la visibilité dans une industrie du cinéma où domine le secret.

Kit Harington dans « Ma Vie avec John F. Donovan », de Xavier Dolan - Mars Distribution
Kit Harington dans « Ma Vie avec John F. Donovan », de Xavier Dolan - Mars Distribution

Jusqu’à présent, et même quand ses films touchaient à des sujets de société sensibles, Xavier Dolan s’est toujours refusé à une quelconque interprétation politique, ou même sociologique de son œuvre, de ses films. Comme si le jeune virtuose du cinéma québécois célébré partout dans le monde devait en passer par là, le jeune homme pressé avait finalement besoin de temps.

Cinéma de l’émancipation personnelle

Son cinéma post-adolescent questionnait jusqu’alors des moments de bascule, de passage, que ce soit vers l’âge adulte, vers l’affirmation de son genre, en un mot, Dolan nous a donné à voir un cinéma de l’émancipation personnelle. Celui des conflits intérieurs et, par extension, familiaux : du fils en révolte qu’il incarnait lui-même dans J’ai tué ma mère au hipster à la colère plus sourde, plus intérieure et fataliste du fils prodigue qu’on écoute à peine parce qu’il vit loin, qu’il n’est plus des leurs, qu’il est un autre (Gaspard Ulliel dans Juste la fin du monde), en passant par le hipster montréalais amoureux d’un garçon qui n’est pas fait pour lui (Dolan himself dans Les Amours imaginaires), la quadra qui fait son coming out transgenre à sa fiancée, à ses collègues et à sa mère déclenchant des tempêtes hors de contrôle (Melvil Poupaud dans Laurence Anyways), le jeune veuf qui découvre la famille de son conjoint défunt pour faire son deuil à sa façon dans une ambiance âpre de film noir (Dolan encore dans Tom à la ferme) ou l’ado incandescent de violence et d’amour au schéma familial complexe qui explose (littéralement) l’écran dans Mommy.

Il aura fallu ce parcours, rapide, inspirée, fait de creux et de bosses, d’auto-analyse presque inconsciente pour permettre à Xavier Dolan de réaliser un film qui assume, enfin, sa portée politique. Il aura fallu surtout au réalisateur montréalais un changement de langue, d’univers géographique (ici l’Angleterre, Hollywood, Prague) et une reconnexion sans faux semblant à sa propre enfance, aux rêves de celui qu’il était quand il rédigeait une lettre à son idole d’alors, le Léonardo Di Caprio de Titanic, à cet enfant plein de rêve qu’il ne cessât, peut-être jusqu’alors, jamais d’être.

Une grâce inouïe

Avec son jeu entre les époques (2006, 2016), les territoires (des deux côtés de l’Atlantique), les milieux sociaux, Xavier Dolan se splitte en deux dans ce long dialogue qu’est Ma Vie avec John F. Donovan. Le petit Rupert, 10 ans, entretient une correspondance secrète avec son acteur fétiche, le fameux John F. Donovan, icône télévisuelle placardisée sous peine de ne pas être « crédible » pour incarner le prochain super héros au cinéma. Et ce sont leurs deux destins qui se lient dans cette fresque épistolaire épique d’une grâce inouïe mais au lyrisme plus sage, plus contenu (plus adulte ?) que celui qui nous avait époustouflés dans Laurence Anyways. Là où Dolan fait mieux que de fantasmer ce qui aurait pu exister (Xavier/Leonardo), que de consoler l’enfant déçu qui vit encore en lui, c’est qu’il ose dialoguer avec lui-même,  se répondre ce qu’il avait, un temps, rêver de lire. Il y a un peu de lui dans les deux correspondants au cœur de ce film injustement boudé par la critique internationale (esprit de corps autour d’Hollywood qui en prend pour son grade ?) lors du dernier festival de Toronto en septembre dernier. Si le petit Rupert (Jacob Tremblay, idéal) est un double évident du petit Xavier, précoce, subtil, agaçant, différent, opiniâtre et vivant seul avec maman), John F. Donovan (incarné par un Kit Harington parfois un peu lisse) serait une incarnation plus distanciée du Xavier récompensé, adulé, icônisé et, finalement, un peu empêché de vivre sa vie, devant céder aux exigences de la notoriété qui peut isoler et paralyser la tête comme le cœur.

Ma Vie avec John F. Donovan est également une synthèse brillante et fine des thèmes fondateurs du cinéma de Dolan

Ma Vie avec John F. Donovan est également une synthèse brillante et fine des thèmes fondateurs du cinéma de Dolan : les rapports mère-fils (avec Natalie Portman d’une part et Susan Sarandon d’autre part, toutes les deux impressionnantes), un héros (John-Kit) qui donne l’impression d’être immergé dans un huis-clos étouffant, angoissant, et a l’envie de tout quitter, de s’affirmer, de se réaliser et d’être accepté, ou encore cette confrontation à l’impossibilité d’être aimé par l’être désiré, le tout traité avec un lyrisme sobre, une mise en scène élégante, des variations de lumière subtile, et le refus du spectaculaire. Le film est construit en flashbacks à partir d’une interview (comme dans Laurence Anyways), la figure de style fait appel à un vécu pour le réalisateur qui n’a jamais été très fan de cet exercice même si la dite interview est hors codes, la journaliste (Thandie Newton) n’étant pas dans son champ de compétence, et hors de la cartographie de l’intrigue puisque l’acteur, sujet de l’entretien, Rupert plus âgé (Ben Schnetzer, charmeur à souhaits), heureux, accompli, et devenu comédien à succès, tourne à Prague.

Discours politique assumé

La plus grande force du film, enfin, c’est qu’il est l’occasion de sortir de l’histoire personnelle et de cette revendication de la singularité, de l’intime, de l’identification, pour porter un discours politique assumé et presque militant, ce qui manquait cruellement au cinéma de Dolan jusqu’alors. Le jeune Rupert et son acteur fétiche sont gays. Et ce n’est pas un détail. En créant les conditions de cet échange, Dolan met en place le propos politique du film. Pas de revendication, de manifeste ou de sang sur les murs mais un message. Faire ce film à « l’hollywoodienne » (sans mettre un pied aux États-Unis), c’est attaquer frontalement les studios et leurs positionnements politiques plus que boiteux, c’est une adresse directe à une industrie du cinéma qui se ment à elle-même. Des « players », des « géants du cinéma » qui affichent une bonne conscience « LGBT friendly » tout en conseillant à ses stars homosexuel.le.s de rester bien sagement dans le placard pour éviter les retours de bâton.

L’action se situe en 2006 mais les choses, à l’exception d’une poignée d’acteur.trice.s au courage exceptionnel, n’ont pas vraiment changé comme on aurait pu l’espérer. Le film est un délicat pavé dans la mare pro-coming out. Il clame la nécessité impérieuse du « role model », l’indicible besoin qu’à chacun.e, chaque enfant, de pouvoir avoir le droit de se projeter sur une personnalité publique gay, lesbienne, transgenre qui a réussi sa vie, qui assume qui il.elle est aux yeux du monde. Le message est fort et clair : l’obligation et la pression sociale, qui forcent un individu à cacher qui il est (à ses proches, au grand public, à lui-même), peuvent avoir des conséquences désastreuses (pas de spoiler quand on sait que le titre original est The Death and Life of John F. Donovan), et le courage de s’affirmer publiquement, d’assumer et de faire accepter sa différence peut être salvateur pour des gamins, des gamines, qui ont le besoin impérieux, vital, de croire en leur avenir.

Comme souvent chez Dolan, les dernières images d’un film font le lien. Entre ses références, son Panthéon personnel et son prochain film. Ici, ce sont deux garçons, l’un derrière l’autre sur une moto, ils ont l’air heureux et ce plan solaire fait irrémédiablement penser au couple que formaient le regretté River Phœnix et Keanu Reeves dans un film fondateur d’un cinéaste gay et qui a toujours été « out » : My Own Private Idaho de Gus Van Sant. Cet hommage à un des principaux « role modèles » d’une génération de cinéastes queer annonce aussi le prochain film de Dolan, déjà tourné et espéré à Cannes en mai prochain. Matthias et Maxime raconte, pour la première fois chez le cinéaste québécois, une histoire d’amour (réciproque) entre deux garçons (vivants). On mesure à quel point le jeune prodige est devenu grand et, surtout, comme il est passionnant de voir un cinéaste grandir, mûrir et assumer, chemin faisant, la dimension politique de chacune de ses histoires intimes.


Ma Vie avec John F. Donovan (titre original : The Death and Life of John F. Donovan)
Réalisation : Xavier Dolan
Drame – Canada – 2h03
Distribution : Kit Harington, Jacob Tremblay, Susan sarandon, Natalie Portman, Thandie Newton, Ben Schnetzer, Kathy Bates, Chris Zylka,