États-Unis : la « gay panic defense » bientôt bannie des tribunaux ?

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« Je l'ai tué.e parce que je me suis senti agressé ». Aux États-Unis, le moyen de défense moyen-âgeux de la « gay and trans panic defense » pourrait être bientôt totalement interdit (finger crossed).

gay and trans panic defense
Scott Amedure et Gwen Araujo, deux victimes de crimes LGBTphobes

Il s’appelait Scott Amedure et quand il a déclaré sa flamme à son ami lors du tournage d’une émission (jamais diffusée), celui-ci lui a tiré dessus, trop humilié, trop paniqué. C’était en 1995, en Californie. Elle s’appelait Gwen Araujo et elle avait 17 ans quand quatre hommes l’ont assassinée après l’avoir prise au piège et identifiée comme une femme trans. C’était en 2002, en Californie. Il s’appelait David Spencer, il avait 32 ans quand son voisin et ami – passionné de saxophone tout comme lui – l’a poignardé à mort parce qu’il avait tenté de l’embrasser.  C’était en 2015, au Texas.

Dans ces trois cas, parmi tant d’autres, la défense a plaidé une sorte de légitime défense qui ne s’applique qu’aux seules personnes LGBT+ : la « gay panic defense » ou « trans panic defense ». Ce qui a été avancé à la barre, c’est que les tueurs ont tué les victimes car ils avaient été paniqués par la soudaine révélation de l’homosexualité ou de la transidentité de la personne en face… ou « paniqués » de l’intérêt sexuel de cette personne pour eux.

Un meurtre : six mois de prison, 100 heures de travaux d’intérêt général et 11000 dollars de dommages et intérêt

Grâce à cet argument, le tueur de David Spencer a fait six mois de prison, 100 heures de travaux d’intérêt général et a payé 11000 dollars de dommages et intérêts pour la famille. Une aberration qui n’est pas rare aux États-Unis… mais qui pourrait bientôt, enfin, ne plus être utilisée par les avocats.

L’inverse de la circonstance aggravante

À l’inverse total de la circonstance aggravante que représente la motivation LGBTphobe à un passage à l’acte meurtrier, la « gay panic defense » c’est un moyen de défense non officiel utilisé par les avocat.e.s américain.e.s pour défendre leurs client.e.s, accusés de meurtres. Le but est de démontrer que l’assassin est au préalable victime d’avoir été dupé, surpris, voire humilié. Trois des tueurs de Gwen Araujo s’étaient ainsi défendus en indiquant que le fait de découvrir la transidentité de la jeune adolescente (avec qui ils avaient eu des rapports sexuels) avait été vécu comme une «  agression sexuelle si profonde qu’elle avait provoqué une réaction primitive ».

Une «  agression sexuelle si profonde qu’elle avait provoqué une réaction primitive »

Cynthia Lee, une professeure de droit à l’Université de George Washington a consacré une grande étude à ce sujet. «  Quand un hétérosexuel tue un homme gay et encourt une accusation de meurtre, une stratégie de défense courante c’est d’utiliser le concept de “gay panic” pour expliquer ce meurtre. La “gay panic” n’est pas officiellement reconnue, mais beaucoup utilisent ce terme pour se référer à des stratégies de défense qui s’appuient sur la notion qu’une personne accusée de meurtre peut être excusée, ou que son action peut être justifiée si son acte violent est une réponse à des avances (homo)sexuelles. Ces stratégies là comprennent aussi le fait d’utiliser la “gay panic” pour plaider l’absence de jugement, les capacités diminuées, la provocation voire la légitime défense. ».

La « gay and trans panic defense » peut être présentée dans presque tous les tribunaux, exceptés aujourd’hui dans trois états la Californie, l’Illinois et Rhode Island.

« Ce n’est pas une défense, c’est un crime de haine »

« Ces moyens de défense n’ont pas leur place ni dans notre société, dans notre système juridique et devrait être légalement rejeté totalement » s’est résolue à avancer, dans une lettre ouverte, l’Association Américaine du Barreau, en 2013.

L’association entamait sa lettre par un listing d’arguments réels : «  Jorge Steven Lopez-Mercado, 19 ans, a été décapité, démembré et brûlé parce qu’il était ouvertement gay, mais selon les enquêteurs, “les gens qui vivent ce style de vie doivent savoir que ça peut leur arriver”. Quand Matthew Shepard, 21 ans, a dragué deux hommes dans un bar gay, il aurait du s’attendre à être battu, accroché à une grille et laissé pour mort. Quand Emile Bernard fut poignardé, battu et aveuglé après avoir dragué un auto-stoppeur, son agresseur a indiqué qu’il ne pouvait pas être coupable parce que la victime avait “cherché la merde” en lui faisant des avances. Si Angie Zapata, 18 ans, n’avait pas “dissimulé” le fait qu’elle avait une anatomie masculine (sic), son agresseur ne l’aurait pas battue à mort avec un extincteur. Et quand un étudiant a exécuté Larry King, 15 ans, devant son prof et ses camarades de classe, son acte était compréhensible parce que Larry portait des robes et des talons, et qu’il lui avait adressé un “je t’aime bébé” la veille. Voilà des moyens de défenses réels, utilisés par des avocat.e.s réel.le.s, dans des cours de justice américaines, qui ont contribué à amoindrir ou excuser des charges criminelles réelles, aujourd’hui. »

« Des failles juridiques inclues dans nos lois permettent de justifier des actes violents contre nos voisin.e.s gays, lesbiennes, bi et trans »

Le 13 juillet dernier, deux parlementaires démocrates ont décidé de faire un pas de plus vers la fin de cette absurdité en déposant à la Chambre des Représentants et au Sénat une proposition de loi proposant de mettre un terme au recours à des « gay and trans panic defenses ». Joseph Kennedy III et Edward Markey ont expliqué au Washington Blade combien ce texte leur tenait à cœur : « Ce n’est pas une défense, c’est un crime de haine », a tenu à rappeler le premier avant de mentionner que « des failles juridiques inclues dans nos lois permettent de justifier des actes violents contre nos voisin.e.s gays, lesbiennes, bi et trans et ne devraient pas exister ».

Edward Markey a dit que l’identité de genre ou l’orientation sexuelle ne pouvaient « excuser la violence, et nos cours de justice ne devraient pas être utilisées comme des cours de haine » : « les “gay and trans panic legal defenses” reflètent la peur et la bigoterie envers la communauté LGBTQ et porte atteinte à la légitimité des procédures fédérales. Ces moyens de défense peuvent doivent être interdits pour assurer que tous les Américain.e.s soient traité.e.s avec dignité et humanité par notre système de justice. »