3 questions à Coline Mey de AIDES sur le don du sang

Publié le

Depuis 2015, les hommes bisexuels ou homosexuels doivent justifier d'une abstinence de douze mois pour pouvoir donner leur sang. Une avancée disent certains, une discrimination qui persiste pour d'autres. Qu'en est-il dans les faits ? On fait le point en trois questions avec Coline Mey de l'association AIDES.

Don du sang
Une prise de sang (illustration) - Olena Yakobchuk / Shutterstock

Octobre 2015, Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, a annoncé la fin de l’interdiction totale de donner son sang pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). « La fin d’un tabou et d’une discrimination », avait-elle déclaré dans un entretien accordé à nos confrères et consoeurs du journal Le Monde. Depuis, les homosexuels peuvent faire un don du sang s’ils n’ont pas eu de relations sexuelles avec un autre homme depuis douze mois. Des associations de défense des droits LGBT+ ont souligné l’importance de cette avancée, mais d’autres voix se sont élevées pour dénoncer ce qui constituerait encore une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. À l’image de Jean-Luc Romero-Michel, président de l’association Élus locaux contre le sida (ELCS) : « Être gay n’est pas un risque, être hétérosexuel n’est pas un risque. Le seul risque, ce sont les comportements ! », avait-il écrit sur les réseaux sociaux.

Qu’en est-il ? Sur quels arguments cette exclusion partielle des HSH du don du sang repose-t-elle ? Pour y voir plus clair, Komitid est allé à la rencontre de Coline Mey, chargée de mission Nouvelles Stratégies de Santé au sein de l’association AIDES.

Komitid : D’aucun.e.s considèrent que l’exclusion partielle du don de sang des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) est discriminatoire. Qu’en pensez-vous ?

Coline Mey : Nous ne pouvons pas, chez AIDES, ne pas prendre en compte le contexte épidémiologique du VIH qui augmente considérablement le risque de contamination pour les HSH. Cette évolution des critères permet notamment aux HSH de faire un don de plasma sécurisé suivant des critères d’inclusion équivalents pour les diverses pratiques sexuelles entre hommes ou non. Elle maintient par ailleurs un ajournement de 12 mois après la dernière relation sexuelle entre hommes pour le don de sang total, au lieu de l’ajournement permanent en vigueur auparavant.

Nous considérons comme relevant de notre responsabilité, à AIDES et pour toutes les organisations LGBT et de lutte contre l’homophobie, d’expliquer pourquoi ces critères d’inclusion sont mis en place, suivant quelles logiques, et pourquoi il est important de les respecter par égard pour les bénéficiaires du don du sang qui restent les premières personnes concernées par ce dispositif. Quand nous rappelons que donner son sang n’est pas un droit, c’est simplement pour dire que cela ne soulève aucun enjeu pour quiconque ni d’accès aux droits élémentaires, ni d’accès à la santé, ni d’accès aux ressources, ni d’accès au travail, ni d’accès au logement…

Si nous voulons que les critères d’inclusion dans le don du sang évoluent pour les HSH, concentrons nous d’abord sur l’objectif qui nous mobilise à AIDES : travaillons à faire reculer l’épidémie de VIH, et la concentration de 40 % des nouvelles contaminations chez les HSH, par tous les moyens dont nous disposons.

Cette exclusion partielle vise une population au nom de son orientation sexuelle, ne faudrait-il pas plutôt se concentrer sur les personnes qui ont des comportements à risques ?

C.M. : La forte prévalence du VIH chez les hommes bisexuels et homosexuels, associée aux différences entre risques réels et risques perçus, implique une augmentation statistique du risque de contamination des HSH. Et donc du risque résiduel de transmission pour les personnes bénéficiaires du don du sang.

La seule notion de « comportement à risque » n’est pas si simple à interpréter dans le cadre d’un entretien préalable au don du sang. Elle ne permet pas une sélection des donneurs de sang efficace et répondant strictement aux impératifs de sécurité transfusionnelle pour les personnes donneuses issues des communautés les plus exposées au risque de contamination au VIH.

Israël a récemment ouvert le don du sang aux HSH sans délai d’abstinence. Au Royaume-Uni, le délai va passer à 12 semaines. Pourquoi un an en France ? Pourra-t-on aller également aller dans ce sens ?

C.M. : AIDES, avec d’autres partenaires consultés à ce sujet, a insisté sur la nécessité d’inscrire officiellement dans un calendrier le recueil de données et les recherches à mener pour permettre et sécuriser l’évolution possible des critères d’inclusion. Le tout, en s’assurant d’un maintien au même niveau optimal de la sécurité transfusionnelle actuelle.

Nous ne disposons actuellement pas de projection statistique qui confirme le niveau de sécurité transfusionnelle pour un délai inférieur à 12 mois après le dernier rapport HSH. C’est pour cette raison en particulier que des données sont recueillies depuis l’évolution des critères en 2016, par le biais notamment de la filière spécifique de don de plasma sécurisée ouverte aux HSH. Ce recueil de données pourrait permettre dans les prochaines années de faire évoluer les critères d’inclusion et d’élargir le nombre de donneurs potentiels sans affaiblir la sécurité transfusionnelle pour les bénéficiaires.

La dramatique expérience du sang contaminé, à l’origine de la contamination en France de près de 2 000 personnes, nous oblige à avancer avec une prudence particulière. Et ce, pour éviter toute contamination au VIH via une transfusion sanguine due à un allègement des différentes mesures mises en place pour assurer la sécurité transfusionnelle.