Quand Michel Foucault était sous la surveillance des renseignements polonais

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« Foucault à Varsovie » de Remigiusz Ryzinski, publié début février aux éditions Globe, est une enquête sur ce passage mal connu de la vie de l'auteur de « Surveiller et punir ».

Michel Foucault et livre : « Foucault à Varsovie », éditions Globe
Michel Foucault et livre : « Foucault à Varsovie », éditions Globe - DR

Il fallait un philosophe pour éclairer ce que vécut un autre philosophe, Michel Foucault, lors de son séjour dans la Pologne communiste, sous la surveillance des services de renseignement en raison de son homosexualité.

Foucault à Varsovie de Remigiusz Ryzinski, publié début février aux éditions Globe, est une enquête sur ce passage mal connu de la vie de l’auteur de Surveiller et punir.

Paru en 2017 en polonais, il a été traduit en 2021 aux États-Unis. Dans ce pays, peut-être plus encore qu’en France, Foucault est vu comme l’un des plus grands penseurs du XXe siècle.

« C’était mon premier livre non universitaire et, quand il est paru en anglais, j’ai été surpris de voir combien d’interviews j’ai faites », dit à l’AFP Remigiusz Ryzinski, professeur de philosophie à l’université de Varsovie, spécialiste des questions de genre et de sexualité.

Car, ajoute-t-il, « ce n’est pas un essai sur Foucault le grand philosophe. C’est un récit sur Michel, un homme ordinaire, qui arrive dans ce pays et doit y survivre ».

« La tête haute »

Fin 1958, à 32 ans, après trois années d’exil en Suède, Michel Foucault franchit le “Rideau de fer” pour diriger le Centre de civilisation française de l’université de Varsovie.

Il est bien avancé dans sa thèse de doctorat, qui deviendra Histoire de la folie à l’âge classique. Dans la capitale polonaise, il ne fait pas qu’écrire et exercer la mission que lui a confiée la France : il se lie à des hommes qui, comme lui, vivent leur homosexualité dans la plus grande clandestinité.

« Il y avait cette légende selon laquelle Foucault avait rencontré un type, a été pris par les services de renseignement, et été expulsé de Pologne. Elle était connue dans certains milieux, universitaire, francophile ou gay. Mais personne ne savait les détails », explique Remigiusz Ryzinski.

Ce qu’il a découvert, c’est que le jeune Français a quitté le pays de sa propre initiative à l’été 1959. Le régime de Wladyslaw Gomulka avait bien fait comprendre à la diplomatie française que ce chercheur était persona non grata. Mais il n’avait pas le moyen de le reconduire à la frontière, l’homosexualité n’étant illégale que dans le cadre de la prostitution.

« La légende était vraie : Foucault était ici, avec ce garçon dont le nom est dans le livre. Mais, même si on lui a demandé de partir parce que cette relation avait été découverte, il l’a fait de lui-même, la tête haute. Je l’admire pour ça », avoue l’auteur.

« Pont franco-polonais »

Pour écrire Foucault à Varsovie, le chercheur polonais a fouillé les archives du régime communiste et montré à partir de ce cas comment était surveillée cette communauté. Comme l’écrit Remigiusz Ryzinski, « il n’y avait pas d’homosexuels en Pologne jusqu’à ce que quelqu’un les fiche ».

Foucault traqué et stigmatisé par un régime autoritaire : le livre a suscité un débat sur ce qu’il avait apporté à sa pensée.

L’écrivain Piotr Sobolczyk estimait, dans un article publié par la revue Foucault Studies en 2018, qu’il y avait « un petit pont franco-polonais » entre le séjour à Varsovie et l’ouvrage Surveiller et punir (1975).

La Los Angeles Review of Books, dans une très longue critique de l’ouvrage en septembre 2021, a trouvé plus intéressante l’archéologie d’un milieu et d’une époque. « La ville et ces jeunes hommes sont tout autant les héros de l’histoire que ne l’est Foucault lui-même », concluait cette revue.

La revue littéraire française En attendant Nadeau a aussi apprécié que Remigiusz Ryzinski « ressuscite cette ville enfouie, en soulignant que les gays sont encore souvent dans la Pologne actuelle l’objet de stigmatisations et de discriminations ».