Interview long format avec Alain Parmentier, policier et militant LGBT

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En 2001, partant du constat qu'il y avait trop de discrimination dans la police, Alain Parmentier a confondé Flag. Aujourd'hui, il a pour mission de former tous les délégués d'Alliance Police nationale, classé (très) à droite dans le paysage syndical. Interview.

Alain Parmentier est référent LTBT au syndicat Alliance
Alain Parmentier est référent LTBT au syndicat Alliance - Christophe Martet pour Komitid

En 2001, partant du constat qu’il y avait trop de discrimination dans la police, Alain Parmentier a confondé Flag. Aujourd’hui, il a pour mission de former tous les délégués d’Alliance Police nationale, classé (très) à droite dans le paysage syndical. Interview.

 

Komitid : Commençons par votre engagement en tant que militant LGBT. Pourquoi avez-vous cofondé Flag ! ?

Alain Parmentier : Au départ, on était parti du postulat qu’il y avait beaucoup de difficultés sur cette thématique dans les services de police. Il y avait de la discrimination, du harcèlement et il n’y avait aucune réponse de la part de nos hiérarchies et de la part des organisations syndicales. On s’est dit, il y a quand même un problème, parce que notre rôle en tant que policier, c’est de faire respecter la loi. Donc, si nous, en interne, on n’est pas capable de réagir, ça pose quand même une difficulté. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, c’était juste après le pacs. Avant la loi contre l’homophobie. Dès qu’on avait un problème de discrimination au boulot, la réponse de nos chefs, c’était « Arrêtez les gars, arrêtez vos conneries », et c’était tout. Voilà comment FLAG s’est créé, pour des policiers uniquement. On dénoncera à chaque fois qu’il y a des problèmes parce que c’est inadmissible. Petit à petit, on s’est rendu compte que ça fait un appel d’air aux associations LGBT. Parce qu’elles avaient des difficultés à venir déposer plainte dans les services de police. D’un côté, on va essayer de lutter contre tout ce qui est homophobe en interne.
Et d’un autre côté, on informera les associations LGBT qu’en fait, les choses évoluent petit à petit.

« Le ministère, dans un premier temps, nous regardait un peu de travers »

Komitid : Au niveau du ministère lui-même et de la hiérarchie, comment avait été perçu la création de Flag ?

Au début, lorsqu’on est arrivé, le ministère s’est demandé ce qui se passait. Parce que c’était la première fois qu’il y avait une structure militante de policiers  en interne. Parce que ça n’existait pas auparavant. Désormais, il y a une association de femmes qui s’appelle Femmes de l’Intérieur. Ce sont les femmes de catégorie A dans la police, qui luttent contre le plafond de verre des femmes et leur évolution de carrière. Mais nous, on arrivait un peu comme un cheveu sur la soupe et quelque chose qui n’était pas du tout connu de la part du ministère. Donc, au début, ils nous voyaient un peu comme des gens d’extrême-gauche, peut-être. Et nous, on avait 23, 24 ans. On n’était pas issu du milieu associatif, du milieu syndical ou quoi que ce soit. On se disait, on est LGBT, on veut juste être traités comme les autres, point barre. Le ministère, dans un premier temps, nous regardait un peu de travers. Il ne voulait pas nous recevoir. Et il a fallu qu’il y ait un article dans Le Monde pour que, dans la foulée, le ministère nous appelle. Mais il a fallu qu’on attende assez longtemps pour créer un rapport de forces et voir des choses concrètes se réaliser. C’est quand Manuel Valls était ministre de l’Intérieur qu’on a commencé à avoir des partenariats officiels et que tout s’est ouvert, concrètement. On est entré dans toutes les écoles de police pour former obligatoirement tous les policiers. Ça s’est vraiment démocratisé à ce moment-là.

Et c’est toujours le cas ?

Oui. Ça continue. Quelles que soient les ministres ou les mouvances qui sont arrivées, on n’a jamais eu de recul.

Komitid : Flag a pu avoir une mauvaise image parmi les associations LGBT, je me souviens aussi de marches où cette association a été conspuée ? Vous réagissiez comment ?

Aujourd’hui, je ne fais plus partie du Conseil d’administration de Flag. Mais on avait des difficultés avec certaines associations à faire comprendre notre démarche. Elles faisaient un focus sur le fait qu’on était policier et que, pour eux, policier voulait dire homophobe ou anti-LGBT. On essayait de faire de la pédagogie. Et pratiquement l’ensemble des associations LGBT ont compris. On leur a donné des preuves de ce qu’on voulait faire. Nous, en tant que policiers, on est aussi des personnes LGBT. Donc, ça nous faisait aussi mal au cœur de voir qu’on n’arrivait pas, quelquefois, à faire passer des messages. On peut comprendre aussi, effectivement, qu’il y ait des gens qui sont « antipolice ». Voilà, bon, ça s’explique, il y a forcément des raisons. Dans notre effort de pédagogie, on expliquait que Flag ! n’est pas le porte-parole du ministère. On est une association de policiers qui lutte en interne contre l’homophobie. Nous sommes des militants LGBT au sein de mon milieu qui est le milieu LGBT. Je n’ai pas envie d’être discriminé parce que je suis policier, comme quelqu’un peut être boulanger, comme quelqu’un peut être fleuriste. D’ailleurs, en 2018, on a fait une conférence à Paris de policiers LGBT avec, à la Marche des fiertés, toute une délégation de policiers européens, plus de 150 personnes qui étaient en uniforme. Et il n’y a pas eu de difficultés. C’était une belle image qui nous a fait chaud au cœur.

« Je suis content de voir qu’aujourd’hui, une génération nouvelle est arrivée, pour qui le fait de parler est important »

En 23 ans, qu’est-ce qui a changé dans le quotidien des policiers et des policières LGBT ? Quels sont les principaux aspects qui ont évolué ?

Alors, les principaux aspects pour moi, c’est le fait que des policiers discriminés ont la possibilité de solliciter une structure officiellement. C’est le fait que le ministère de l’Intérieur, maintenant, pour le 17 mai, fait de la communication et on voit depuis quelque temps les couleurs rainbow sur nos intranets. On voit des notes de service sur ce sujet-là. On parle de formation sur la transidentité. Il y a la mise en place des labels égalité et diversité au sein du ministère de l’Intérieur, qui comportent un volet aussi sur cette thématique-là. C’est ouvrir les yeux à nos syndicats pour leur dire, oui, il y a des personnes LGBT dans la police. Aujourd’hui, les syndicats, lorsqu’on les sollicite, ils répondent présents. Pour tous ces points-là, je suis content de voir qu’aujourd’hui, une génération nouvelle est arrivée, pour qui le fait de parler est important. On est le reflet de la société, parce qu’avant d’être policier, on est dans la société civile comme tout le monde.

Est-ce que c’est plus facile aujourd’hui, en tant que policier et policière, de faire son coming-out ?

Et bien, c’est indéniable. Oui. On cite souvent la phrase de l’ancien ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, qui parlait d’une police à l’image de la société. On est en plein dedans. J’ai un collègue qui est transgenre et qui est délégué pour le syndicat Alliance Police Nationale, qui m’a écrit, parce qu’il voudrait que je vienne dans son département.

Je me demandais s’il pouvait y avoir un conflit de loyauté entre votre identité gay et votre appartenance à la police ?

Quand on est en école de police, on nous apprend pourquoi on doit faire du maintien de l’ordre pendant les manifestations. Pourquoi est-ce qu’on doit avoir tel comportement par rapport à l’éthique, à la déontologie. On accepte le deal ou on ne l’accepte pas. Si on ne l’accepte pas, on peut arrêter et puis démissionner. Mais j’ai une anecdote à raconter. ll y a maintenant un peu plus de 15 ans, j’étais sur le premier arrondissement à l’époque et un soir, on allait contrôler les Tuileries (lieu historique de drague gay, ndlr). Je suis dans une voiture avec mon chef. Dans la police, c’est un peu comme dans l’armée, c’est très hiérarchique. Ton chef, c’est ton chef. Mais moi, je me rappelle que j’ai eu une discussion assez franche avec mon chef et mon autre collègue en disant : “mais qu’est-ce qu’ils font de mal ? Pourquoi on y va en fait ?” Normalement, tu as toujours un cadre légal pour aller quelque part. Et ce jour-il n’y avait pas eu de demande officielle de la part du responsable des Tuileries ou du Louvre pour qu’on puisse y aller. Et je me dis, mais qu’est-ce qu’on va casser les pieds à des gens qui sont là ?

Pour les personnes LGBT, les rapports avec la police peuvent être très compliqués. Je pense notamment aux personnes trans et aux travailleurs du sexe. Y a-t-il eu des améliorations ?

Il y a eu à Paris la mise en place d’un officier de liaison LGBT, en la personne de Mickaël Bucheron…

… Mais ça fonctionne ?

Ah oui, c’est indéniable. Et le nombre de personnes, notamment transgenres, qui viennent déposer plainte, c’est très important*.

Et sur quoi portent les plaintes, en général ?

Je me base sur les retours des associations concernées sur des agressions. Ça peut être des agressions à ton domicile parce qu’un voisin est homophobe. Ça peut être parce que tu as fait un plan cul qui ne s’est pas passé comme prévu. Une personne en situation irrégulière qui a un problème, elle n’a pas envie d’aller dans un commissariat. C’est une cible facile parce que les agresseurs se disent qu’elle ne va pas déposer plainte. Pour les travailleurs du sexe, c’est la même chose. Les personnes trans, elles savent que Mickaël connaît la thématique.

On en vient à vos fonctions actuelles. Donc maintenant, vous êtes syndicaliste à Alliance Police nationale, qui est quand même étiquetté à droite…

J’ai milité pendant des années à l’UNSA. J’ai arrêté pour me concentrer sur Flag. Il y a à peu près 20 ans, j’ai rencontré le secrétaire général d’Alliance Police Nationale qu’on connaît aujourd’hui, qui s’appelle Fabien Vanhelmeryck. Le feeling est passé tout de suite. Et on est devenus amis. C’est lui qui m’a proposé cette feuille de mission au sein de cette organisation syndicale, qui est de former tous les délégués d’Alliance, partout, sur le territoire national, c’est-à-dire en métropole et en Outre-mer, évidemment. Ce qui représente environ 4000 personnes. Un collègue m’a écrit il y a quelques jours : “Jamais je n’aurais cru que je verrais Alliance avec les couleurs rainbow”. On a créé un logo spécifique. Le fait qu’il y ait un référent, c’est une première dans le milieu syndical.

Mais est-ce que ce n’est pas du pinkwashing de la part de ce syndicat en particulier ?

La vision extérieure qu’on peut avoir est une chose. Si Alliance est numéro un, c’est parce que c’est le syndicat qui ne mâche pas ses mots. Moi, je fais abstraction de ça et je travaille avec mes collègues, qu’ils soient hétéros ou LGBT, et qui me disent : “enfin, on parle de ce sujet-là”. Des collègues hétéros me disent : “écoute, Alain, si tu as besoin d’aide, dans tel ou tel département, fais-moi signe”. Ma mission, c’est de former tous les délégués Alliance et de mettre en place des référents LGBT dans les régions et dans les départements.

Et est-ce que ça a suscité des « vocations » dans les autres syndicats pour mettre en place des formations ?

Pour l’instant, non. On a la chance  d’être le premier syndicat de France, celui qui est présent vraiment partout. J’ai formé des collègues de Nouvelle-Calédonie, de Tahiti, de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion. Il n’y avait pas Cayenne, je vais le faire en visio. Et ils étaient tous venus en métropole. Là, ils sont repartis chez eux. Et ils vont organiser une réunion d’information. Et moi, je serai en visio avec eux pour être sûr que tous les délégués aient vraiment cette information sur ce qu’est une personne LGBT, notamment.

Est-ce que vous abordez aussi les expériences de discrimination multiple sachant que dans la police, il n’y a pas que des personnes blanches et pas que des hommes ?

Alors j’en parle, mais pas exactement dans ces termes-là. Je mets l’accent sur le fait que, si on est une personne noire, par exemple, on peut avoir des discriminations. Oui. Si, par exemple, on est une femme, on peut avoir des discriminations. Je leur donne un exemple sur les préjugés et les blagues qu’on peut faire. Quelqu’un va faire une blague sur une femme blonde et si elle ne rigole pas, il lui dira : “mais tu n’as pas d’humour”. Je leur explique : “mais hier, elle a entendu la même chose, le jour d’avant également, etc”. Je dis, toi, tu es là à l’instant T et tu fais une blague. C’est pour ça qu’on ne peut pas rire de tout, tout le temps, avec tout le monde. Je l’amène un peu comme ça. Après, je fais des comparatifs quelquefois aussi en disant qu’un enfant noir à l’école peut être confronté au racisme. En rentrant à la maison, il ou elle peut en parler à ses parents qui peuvent venir à l’école pour arrêter ça. Mais si c’est un enfant gay ou lesbienne à l’école, ce n’est pas la même chose. Il ou elle ne peut pas en parler dans la famille. Je dis, tout le monde, à un moment donné, peut faire partie d’une minorité. En tout cas, j’ai le sentiment d’être utile et j’en suis satisfait pour notre cause.

 

*Contacté par téléphone, l’officier de liaison LGBTQI+ de la Préfecture de police de Paris, Mickaël Bucheron, précise qu’en 2023, il a accompagné 179 personnes et aussi assuré plusieurs formations auprès de ses collègues. Sa mission consiste également à requalifier les plaintes pour y intégrer le caractère LGBTphobe. Parmi les victimes, les trois quarts selon Mickaël Bucheron sont gays et le reste à égalité sont lesbiennes ou trans. Pour souligner l’importance de son rôle, il explique que 86 % des personnes reçues n’auraient pas déposé plainte sans cet accompagnement.