David Belliard : « Je suis impatient que le centre d'archives LGBT ouvre »

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Près de dix ans après avoir fait voter un voeu au Conseil de Paris pour un centre d'archives LGBT, David Belliard, adjoint à la maire de Paris, revient pour Komitid sur le long parcours pour finaliser ce projet.

David Belliard, adjoint à la maire de Paris, en décembre 2023
David Belliard, adjoint à la maire de Paris, en décembre 2023 - DR

En décembre 2014, David Belliard, adjoint à la maire de Paris depuis quelques mois, fait voter par le Conseil de Paris un vœu pour l’ouverture rapide d’un centre d’archives LGBT. Près de dix ans – et quelques péripéties – plus tard, il voit son souhait sur le point de se réaliser. En novembre dernier, le Collectif Archives LGBTQI+, qui pilote le projet, annonce avoir donner son accord pour un local situé dans le 19e arrondissement de Paris. Mardi 19 décembre, Komitid a rencontré David Belliard, alors que le bail était sur le point d’être signé. L’occasion de revenir sur ce projet qui a pris des allures de serpent de mer depuis plus de deux décennies.

Komitid : Où en est-on de la signature du bail du centre d’archives LGBT ?

David Belliard : Au moment où on se parle, la promesse est en train d’être signée. C’est un pas important. Je voulais me féliciter parce que cela a été un processus compliqué. Bien sûr, on n’est qu’au milieu du gué : il y a encore beaucoup de choses à faire. Il y a des travaux dans ce local situé au 149, rue de l’Ourcq, qui nécessite un certain nombre d’aménagements et de grosses interventions, mais qui sont financées, du moins pour leur grande partie.

Vous parlez de l’enveloppe de 300 000 euros annoncée par la Mairie ?

Il y a en effet 300 000 euros pour les travaux. Il y a eu aussi un tour de table qui a été organisé et qui permet quand même d’avoir aujourd’hui, à mon sens en tout cas, un financement pour enclencher la machine.

« Les équipes de la RIVP sont très fières aujourd’hui de pouvoir accueillir ce type de projet »

Pouvez-vous nous parler du local qui a été choisi ?

Trouver un local de ce type est une gageure à Paris ! J’avais été approché par les membres du Collectif archives LGBTQI+ en tant que président de la RIVP (Régie immobilière de la Ville de Paris, ndlr). Nous avons lancé un certain nombre de discussions en interne et de recherche. Les équipes de la RIVP sont d’ailleurs très fières aujourd’hui de pouvoir accueillir ce type de projet, parce que c’est un projet très positif et évidemment très fort en termes aussi d’identité, de valeurs. Dans les discussions, une des questions était de savoir si on pouvait faire des propositions pour un local dans des quartiers plus populaires, plus périphériques par rapport aux quartiers traditionnels centraux,  historiques de la communauté. C’était une volonté partagée, et qui répond aujourd’hui à une irrigation des lieux et des combats LGBT+ partout et plus seulement autour de quelques rues centrales. Et donc, le 149, rue de L’Ourcq était disponible, c’est un espace de 640 m2. Nous l’avons visité et on arrive aujourd’hui à un accord, sous quelques réserves techniques. C’est une étape fondamentale, cruciale.

En 2014, vous faisiez voter un vœu au Conseil de Paris pour un centre d’archives. On est dix ans après…

Effectivement, il y a eu des péripéties, c’est le moins qu’on puisse dire ! En 2014, avec le groupe des écologistes, on dépose un vœu. Pourquoi ? Pour remettre en haut de l’agenda politique un sujet et un projet qui étaient dans les limbes, avec des missions qui ont abouti à des financements perdus sur cette question au début des années 2000. C’est pourtant une question majeure. En 2014 – le constat est d’ailleurs toujours le même aujourd’hui – on ne pouvait pas continuer à avoir dans une ville comme Paris, qui a accueilli et qui continue d’accueillir des grands mouvements militants, activistes LGBT+ et pour l’égalité des droits, sans lieu qui accueille, recueille et reçoive leurs mémoires. Un lieu qui permette aussi de construire, d’étudier et de partager nos histoires militantes, communautaires, culturelles, artistiques et sociales. Je crois fondamentalement que la question de la mémoire LGBT, de la mémoire de cette communauté, ou plutôt de ces communautés, est intimement liée à cette ville et à ses spécificités. Parce que c’est une capitale progressiste, parce que c’est une ville dans laquelle beaucoup de gens viennent trouver refuge, se sont rencontrés, beaucoup de gens ont milité et se sont construit humainement et politiquement, et continuent à le faire. C’est tout un pan de l’histoire de Paris qu’il faut ainsi éclairer. Mais aussi une part de l’histoire de France. Il me semblait donc, et il me semble toujours important que Paris soit très contributrice de ce centre. Mais que d’autres aussi doivent contribuer, comme la Région ou l’Etat.

En outre, dans les discussions qui ont suivi ce voeu s’est posée la question de la gouvernance qui est intimement liée à la question de l’objet même du projet. Et l’objet, c’est un centre des archives communautaires. Ce que je continue à penser, c’est qu’il doit être géré par la « communauté », en tout cas, par des gens qui sont des parties prenantes, des personnes concernées et qui s’organisent pour construire ce centre des archives. Avec Jean-Luc Romero, mon collègue adjoint particulièrement investi sur cette question, dont je salue le travail, avec Alice Coffin, on fait ce pari d’une gestion communautaire. Et je constate d’ailleurs que lorsqu’il y a des élu·es LGBT, les sujets avancent plus que lorsqu’ils ne sont pas portés par des personnes concernées. Même si ça n’avance pas toujours aussi vite qu’on le voudrait.

« Ce lieu a vocation à accueillir l’ensemble des fonds qui ont été réunis soit par des structures associatives, soit par des particuliers »

Ce qui a pris du temps, c’est aussi le projet, qui n’a pas abouti, de réunir pour ce centre les trois associations que sont l’Académie gay et lesbienne, les ARCL et le Collectif Archives LGBTQI+…

Non, ça n’a pas fonctionné. Du moins pas encore. C’était et c’est toujours notre volonté. Ce lieu a vocation à accueillir l’ensemble des fonds qui ont été réunis soit par des structures associatives, soit par des particuliers. Il est important que nous ayons un endroit, qu’il y ait un lieu qui puisse, à termes, fédérer toutes celles et tous eux qui détiennent une partie de notre histoire collective. C’est-à-dire, vraiment, à accueillir l’ensemble des histoires de nos communautés.

Est-ce selon vous un projet qui a une dimension  nationale ?

Ce centre a une vocation nationale. Et c’est à ce titre normal que l’Etat le finance aussi ! Je pense même que les centres des archives LGBT régionaux doivent pouvoir être financés par l’État. Ce centre, ça fait partie de notre histoire, de nos histoires collectives. Ça fait partie de l’histoire de notre République et de la lutte pour l’égalité des droits. Et puis, c’est une culture. On a longtemps appelé cela une subculture mais aujourd’hui elle déborde du cadre minoritaire. Je pense en particulier au succès de « Drag Race France ». Il y a aujourd’hui toute une part des codes culturels qui viennent de cette subculture LGBT. Et donc, ne pas la comprendre, c’est vraiment oblitérer et dégrader notre compréhension des phénomènes contemporains. Je note que c’est une « culture » qui s’est construite aussi sur ce qu’on appelle aujourd’hui l’intersectionnalité, sur la convergence des luttes, sur le fait que les minorités devaient se retrouver pour lutter contre les cadres d’oppression politiques, sociaux, économiques, culturels… Alors quand je vois certains responsables politiques de droite ou de la majorité présidentielle aujourd’hui nier cette dimension, voire la fustiger tout en s’en réclamant, c’est très choquant. Les personnes LGBT+ que ces gens semblent adorer pour des raisons bien souvent électoralistes, c’est d’abord une culture qui s’est construite sur la défense des travailleurs et travailleuses du sexe, les groupes non mixtes, les personnes racisées, les mouvements féministes radicaux… On ne peut pas défendre les personnes LGBT+ sans embrasser cette histoire politique et vomir en parlant du wokisme, qui constitue en fait une grande part de l’ADN des luttes et de la culture LGBT+.

Est-ce que j’ose poser la question qui fâche. Avez-vous une idée du calendrier d’ouverture du centre d’archives ?

Il y a le délai lié aux travaux. Idéalement, l’ouverture, c’est l’année prochaine. En 2024. Je ne veux pas m’engager parce que ce n’est pas ma responsabilité directe. Mais effectivement, on a une envie partagée que les choses se passent bien et qu’elles aillent vite. Je le dis d’autant plus parce qu’à titre personnel, je suis impatient que le centre d’archives LGBT ouvre. Ça va faire 25 ans qu’on en parle. On est dans une période politique très particulière. D’une part la société évolue plutôt dans le bon sens et de l’autre côté, de plus en plus de monde se raidit. Les violences et les tensions s’accentuent. Question égalité des droits, on est dans une situation très fragile politiquement, et en particulier pour les personnes trans et les personnes LGBT+ migrantes. Partout en Italie, en Hongrie, en Slovaquie, on voit des partis d’extrême droite fascistes ou néofascistes arriver au pouvoir. Malgré des discours très policés, les premières choses que font ces gens, je pense à Meloni en Italie, c’est de vouloir retirer la capacité de devenir parent aux lesbiennes et de combattre le droit à l’IVG. Paris doit se doter très vite de ce lieu parce que ce sera aussi, j’en suis certain, un lieu d’élaboration, de débats, d’innovation politique où pourront s’élaborer de nouveaux concepts et de nouveaux liens militants et politiques. Ce centre des archives sera un lieu de mémoire, mais aussi je l’espère un des lieux de conquête pour nos droits, pour l’égalité et l’émancipation. 

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