Lilla Halla, réalisatrice de « Levante » : « Je deviens de plus en plus combative mais d'une manière plus collective et plus joyeuse »

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Présenté à la Semaine de la critique à Cannes en mai dernier, puis à Chéries-Chéris cet automne, Levante est une ode à la résistance et à la sororité, une œuvre d'une énergie revigorante. Interview de sa réalisatrice, la Brésilienne Lilla Halla.

Lilla Halla, réalisatrice de « Levante »
Lilla Halla, réalisatrice de « Levante » - DR

L’avortement est toujours criminalisé au Brésil malgré des avancées significatives ces dernières années mais ce n’est pas le cas dans le pays voisin l’Uruguay. C’est un des moteurs narratifs de Levante, premier long-métrage de la réalisatrice brésilienne Lilla Halla. Situé dans l’univers du sport, avec une équipe de volley-ball trans-féminine, ce film à la portée politique raconte le parcours semé d’embûches de Sophia (magnifiquement interprétée par Ayomi Domenica). Présenté à la Semaine de la critique à Cannes en mai dernier, puis à Chéries-Chéris cet automne, Levante est une ode à la résistance et à la sororité, une œuvre d’une énergie revigorante.

Komitid s’est entretenu avec Lilia Halla lors de son passage à Paris début décembre.

Komitid : Vous  choisissez de faire leur premier long métrage sur l’avortement, un sujet très clivant au Brésil. Pourquoi ?

Lilia Halla : Oui un journaliste m’a demandé pourquoi j’étais si dure avec moi-même (rires). Il est absolument nécessaire pour moi d’en parler en tant que cinéaste, en tant que féministe queer qui envisage des futurs possibles. C’est une histoire d’avortement en surface mais ce film parle de l’importance du collectif, de l’importance
de stratégies sur la famille que vous choisissez également dans un sens queer. C’est un film sur le désir, l’humour, le pouvoir de la joie comme outil politique également.

Comment avez-vous constitué le casting et trouvé en particulier l’héroïne principale, Sophia, interprétée par la magnifique Ayomi Domenica ?

Elle est vraiment géniale. Elle est incroyable. Le casting a duré deux ans. Le travail sur le film a également été interrompu par le fait que nous étions censées tourner en 2020 puis on s’est arrêté. Certaines personnes n’étaient plus disponibles, étaient partis dans d’autres pays en raison du Covid. Nous avons commencé le tournage du film, les répétitions, etc. mais sans savoir qui allait jouer quel rôle. Je savais que l’histoire était aussi une rencontre entre le scénario et les personnes. Je considère les acteurs et actrices comme des créateurs. Au fil des jours où nous travaillions, il devenait de plus en plus clair pour moi qu’Ayomi Domenica était Sophia.

Pourquoi avez-vous choisi de placer cette histoire au sein d’une équipe féminine de volley-ball ?

Le sport c’est aussi une question de stratégie d’équipe, c’est mettre le corps en action, c’est penser collectivement. Et le volley-ball, c’est aussi, si vous regardez d’en haut, comme une cartographie artificielle : vous avez deux côtés et cette binarité est comme une frontière artificielle. Voilà donc les raisons pour lesquelles j’ai choisi le sport. Il y a aussi de très grandes similitudes avec cette situation brésilienne-uruguayenne où il n’y a pas de frontière entre les deux pays où les situations sont pourtant très différentes, en particulier sur l’avortement.

« Dans chaque nouvelle version du scénario, je faisais aussi un petit pas vers plus de radicalité en termes d’esthétique et de choix »

Etait-ce clair dès l’intention que Sophia serait bie ?

J’ai dit que j’étais bie et les personnages ont tendance à faire écho un peu à  leurs créateur·rices. Mon scénario s’est développé sur huit ans, depuis la sortie de l’école de cinéma. Le temps qu’il nous a fallu pour faire le film étaient des années au cours desquelles, d’un côté, le Brésil s’effondrait et dans chaque nouvelle version du scénario, je faisais aussi un petit pas vers plus de radicalité en termes d’esthétique et de choix. Le film me ressemble de plus en plus dans des sens différents. Je sors du placard au fur et à mesure que le film sort du placard et je deviens de plus en plus combative mais d’une manière plus collective et aussi d’une manière plus joyeuse. Au début, Sophia ne sortait pas avec des filles, à aucun moment de l’histoire, mais il est devenu clair qu’il y avait une histoire d’amour lesbienne qui, même en elle-même, a changé avec le casting car au moment où Loro devient Bel, Loro entre lui-même dans un processus de transition. Si vous regardez le film dans sa langue originale, nous jouons tout le temps avec les pronoms. Cette fluidité devient de plus en plus forte.

Dans une interview pour votre court métrage intitulé « Menarca », vous avez dit : « en tant que conteure, je crois au pouvoir des symboles, à l’impact des images et des histoires ». Comment diriez-vous que cela se matérialise dans « Levante » ?

Idem. Menarca est un film que j’ai fait pendant que je développais Levante, mais Levante s’est beaucoup imprégné du processus de Menarca. Dans Menarca, j’envisageais des manières d’élaborer cette idée de légitimation de la violence sur des corps non hégémoniques mais par des solutions fantastiques. Levante, dans ce sens, est davantage un appel à l’action de manière pratique.

Quand je lis votre biographie, je constate que vous avez beaucoup voyagé, pour votre formation de cinéaste. Comment se sont passées vos études de cinéma à Cuba ?

C’était incroyable. Je venais du théâtre et je n’avais aucune idée de comment les choses allaient s’approfondir. L’école de cinéma, à San Antonio de los Banhos, à Cuba, existe depuis 30 ans. C’est un projet né comme un possible îlot de cinéma pour les Latino-Américains d’un point de vue politique. Mais depuis, il survit comme il peut. Il bénéficiait d’une grande protection de la part de Fidel. Il a bénéficié aussi auparavant d’un grand soutien de la part des pays d’Amérique latine. C’est une expérience collective très intense du cinéma dans laquelle chacun·e est artiste et tout le monde regarde les films ensemble. C’est un espace très cinéphile. Tout ce que vous respiriez là-bas était du cinéma. Vous vous réveilliez, vous êtiez au cinéma. Vous dormiez, vous étiez au cinéma.

Vous avez aussi confondé Vermelha, un collectif de cinéma féministe et queer.  Est-ce née de cette formation à Cuba ?

La plupart des personnes engagées dans le collectif Vermelha avaient déjà étudié à Cuba. Une grande partie de l’équipe du film Levante vient également de cette école. Quand je suis sortie de l’école, avec d’autres cinéastes qui étaient là-bas, nous avons d’abord commencé à étudier par nous-mêmes la théorie féministe et queer, en nous politisant. C’était en 2014. Nous nous sommes dit que nous devions le faire ouvertement et nous avons alors commencé à organiser des séminaires et des actions, des cours. C’était une époque où nous pouvions créer ces espaces sûrs d’échange, de réseautage et de pensée politique.

Nous avons beaucoup parlé dans les médias LGBT des attaques misogynes et LGBTphobes sous l’ère Bolsonaro. Sous la présidence de Lula, y a-t-il eu selon vous une évolution positive ?

Le fascisme est sorti du placard avec Bolsonaro. Il y a eu de la violence, de la persécution et le recours à la force. Ce fascisme n’est malheureusement pas rentré au placard au moment où Lula remporte les élections. Même lui et son gouvernement sont en train de négocier avec un autre Brésil, qui n’est pas le Brésil de sa dernière période en tant que président (entre 2003 et 2011, ndlr). Concernant ce sujet précis des grossesses non désirées, il a essayé de mentionner la possibilité de décriminaliser l’avortement pendant sa campagne. Et il a été critiqué par la droite mais aussi par la gauche. C’est un moment très difficile. Bien sûr, ce qui change maintenant, c’est que nous pouvons en parler. Nous pouvons sortir le film. Le Sénat est horrible. Mais il n’est pas légitimé par le gouvernement.

« Levante », d’Hilla Halla, en salles le 6 décembre