En Indonésie, des hommes perpétuent une danse ancestrale malgré les tabous

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Malgré ses détracteurs, la danse, considérée à une époque comme une tradition sacrée, connaît encore un grand succès dans sa région d'origine.

Lengger Lanang
Lengger Lanang - Riza Arif Nur Saputra 26 / Creative Commons

Devant des milliers de spectateur·rices, Rianto se déplace gracieusement, son long châle orange voletant au rythme des percussions, et perpétue une tradition indonésienne remontant au XVIe siècle mais aujourd’hui menacée, car la danse est pratiquée par des hommes travestis en femmes.

La Lengger Lanang « est toujours méprisée et stigmatisée », déclare à l’AFP Rianto, danseur et chorégraphe de 42 ans. « Les gens considèrent encore que des hommes qui dansent, c’est contre la norme », ajoute l’artiste qui, comme beaucoup d’Indonésiens, porte un seul nom.

Danse ancestrale apparue à Banyumas, dans le centre de la grande île de Java lors de cérémonies dédiées à la fertilité et aux récoltes, la Lengger (nom de la danse) Lanang (signifiant “homme”) se heurte désormais aux tabous et à la rigidité d’une société majoritairement musulmane.

Aujourd’hui, moins d’une centaine d’hommes la pratiquent encore. Les anciens maîtres disparus ne trouvent presque plus de successeurs.

Mais Rianto veut aller au-delà des clichés. Comme les autres danseurs, il a revêtu les attributs de princesses javanaises – jupe et blouse près du corps, maquillage et perruques.

« La Lengger Lanang est le lieu où le masculin et le féminin se rencontrent dans un seul corps et vise à apporter la paix en soi », explique le danseur, marié à une Japonaise.

En 2018, un film inspiré de sa vie a été très bien accueilli par la critique avant d’être interdit dans plusieurs villes du vaste archipel, certains estimant qu’il faisait la promotion de l’homosexualité.

« Condamné par le Prophète »

Qu’ils soient hétérosexuels, gays, trans ou non-binaires, les danseurs de Lengger Lanang sont confrontés aux préjugés et aux normes imposées par la société.

« Selon l’islam, il est clair qu’un homme ne doit pas s’habiller ou se comporter comme une femme, et inversement. C’est condamné par le Prophète », explique ainsi Taefur Arofat, président du Conseil des oulémas de Banyumas.

Rianto estime « très difficile » d’être « homme et danseur ». « Nous ressentons de façon très négative la stigmatisation du public pour qui danser est associé à la féminité », déplore-t-il.

De son côté, Torra Buana, danseur de 47 ans, confie avoir dû garder sa pratique secrète.

« A un moment, je l’ai cachée à ma famille » car pour certains c’était « négatif », raconte le danseur. Cependant « tous les hommes ne peuvent pas » pratiquer cette danse réservée « aux élus, bénis des dieux », estime-t-il.

Malgré ses détracteurs, la danse, considérée à une époque comme une tradition sacrée, connaît encore un grand succès dans sa région d’origine. Ainsi, un festival, organisé pour la première fois après trois ans d’arrêt dû à la pandémie de Covid, a réuni des milliers de spectateurs en septembre.

Rituel devenu spectacle

« Il s’agissait à l’origine d’un rituel pratiqué après les récoltes pour exprimer la gratitude à la déesse de la fertilité, et qui s’est ensuite transformé en une sorte de spectacle donné par exemple pour accueillir un hôte de marque », explique Lynda Susana Ayu Fatmawati, spécialiste de la culture, à l’Université Jenderal Soedirman de Banuymas.

Pour devenir danseurs de Lengger Lanang, les élèves devront eux-mêmes se soumettre à divers rituels de purification tels que le jeûne, le bain dans différentes sources et la méditation.

Avant chaque représentation, les danseurs brûlent de l’encens et présentent des offrandes de pétales de fleurs et de noix de coco pour implorer la bénédiction des dieux.

Pour que la pratique perdure, Rianto a ouvert le Rumah Lengger, un lieu où les jeunes danseurs peuvent pratiquer et se familiariser avec la philosophie qui accompagne la danse.

« Je veux que cette culture survive et se régénère », ajoute Rianto.

Parmi les rares recrues, Ayi Nur Ringgo a été séduit par des vidéos qu’il a découvertes lorsqu’il était à l’université, mais il a aussi dû faire face au sarcasme de ses anciens camarades.

« Je ne m’en soucie plus. J’ai fait la paix avec moi-même et avec ma force », assure-t-il.