La vague #MeToo submerge à son tour Taïwan

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La vague #MeToo qui submerge les milieux politique et universitaire en passant par le show-business a été déclenchée par la lanceuse d'alerte Chen Chien-jou, qui a eu le courage de dénoncer le harcèlement sexuel dont elle a été victime.

Un marché de nuit à Taiwan
Un marché de nuit à Taiwan - beeboys / Shutterstock

Taïwan se targue d’être l’une des démocraties les plus progressistes d’Asie, avec la première loi de la région sur le mariage des couples de même sexe et un nombre élevé de femmes politiques. Mais le flot incessant de cas #MeToo depuis plusieurs mois témoigne du profond problème d’inégalité entre les sexes.

Cette vague #MeToo qui submerge les milieux politique et universitaire en passant par le show-business a été déclenchée par la lanceuse d’alerte Chen Chien-jou, qui a eu le courage de dénoncer le harcèlement sexuel dont elle a été victime.

Cette ancienne collaboratrice de campagne politique, âgée de 22 ans, a raconté dans un message publié sur Facebook à la fin mai, avoir été pelotée lors d’un voyage en voiture par un réalisateur de télévision.

L’homme avait été engagé l’an dernier sur un projet du Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir, employeur de Chen Chien-jou à l’époque.

Quand elle a eu le courage d’en parler au responsable des affaires féminines du parti, Mme Chen a déclaré avoir été traitée de manière « froide et humiliante » et s’être heurtée à l’hostilité de son supérieur.

« On m’a demandé “pourquoi n’avez-vous pas sauté du van” et “pourquoi n’avez-vous pas crié ?” », confie-t-elle à l’AFP, « j’ai eu l’impression d’être niée et blâmée, comme si c’était une plaisanterie (pour son supérieur) ».

Son récit public a fait instantanément le tour des réseaux sociaux, libérant la parole de ses compatriotes qui se sont mises à raconter des cas de harcèlement au travail.

Son histoire a également déclenché une prise de conscience au-delà de la sphère politique.

Nombre d’affaires ont ainsi été mises au jour notamment celle de l’agression sexuelle présumée d’une vingtaine de femmes par un comédien populaire qui fait l’objet d’une enquête.

« C’est une bonne chose que les victimes parviennent à s’exprimer, cela demande beaucoup de courage », estime Mme Chen, « même si cela m’attriste d’entendre ces choses qui n’auraient jamais dû se produire ».

« Fauteuses de troubles »

« La violence sexuelle, de la violence domestique au harcèlement sexuel, est plus fréquente qu’on ne le pense », souligne Liao Shu-wen, secrétaire général de la Coalition taïwanaise contre la violence.

L’une des premières affaires à retentir dans l’île s’est produite en 2018, quand montait en puissance le mouvement mondial #MeToo.

Un groupe de gymnastes a alors porté plainte contre un ancien entraîneur pour des agressions sexuelles perpétrées sur mineures. Il a fini par être condamné.

Mais le mouvement taïwanais était resté modeste « en raison d’une foule de doutes émis en ligne où on blâmait les victimes », explique Wang Yue-hao, responsable de Garden of Hope Foundation, une association de défense des droits des femmes.

Sa fondation et le ministère du Travail ont réalisé des sondages qui ont révélé que « de 70 à 80 % des victimes de harcèlement sexuel n’osent pas » porter plainte sur leur lieu de travail, poursuit-elle.

«  Elles craignent d’être considérées comme des fauteuses de troubles », ajoute Mme Wang, mais, selon elle, le cas de Chen Chien-jou montre que le vent commence à tourner. « Cette fois-ci, les gens expriment davantage de soutien que de doutes (…) certains dirigeants politiques ont réagi rapidement et positivement ».

Le Parlement devrait tenir une session extraordinaire à la fin du mois pour réviser trois lois relatives à l’égalité des sexes, notamment en établissant un « mécanisme de signalement fiable et direct » de cas de harcèlement sexuel sur le lieu de travail.

« Si la société n’est pas capable de réfléchir profondément et de reconnaître l’égalité des sexes comme un droit humain fondamental, c’est que nous laissons tomber les personnes qui se sont exprimées pendant ce mouvement », a déclaré à l’AFP Fan Yun, membre du Parlement démocratique populaire (DPP).

« Ne pas laisser passer »

Un slogan de ralliement s’est imposé en même temps que le mouvement prenait de l’ampleur : « Ne pas laisser passer », inspiré d’un dialogue de Wave makers (créateurs de vagues), une série TV taïwanaise à succès, diffusée sur Netflix.

« Nous ne pouvons pas laisser passer aussi facilement. Sinon, nous allons lentement dépérir puis mourir », déclare le personnage principal Weng Wen-fang, s’engageant à aider sa subordonnée qui a été pelotée par un collègue et subi des pressions pour qu’elle garde le silence.

C’est en regardant Wave Makers que Mme Chen a décidé de rendre public son témoignage.

Elle dit avoir trouvé un certain réconfort dans les excuses publiques des dirigeants du DPP, d’autant que son ancien supérieur a démissionné. Mais le réalisateur de télévision lui n’a toujours pas présenté d’excuses.

« J’espère que toutes celles qui sont prêtes à parler et prendre part au mouvement obtiendront la justice qu’elles méritent », ajoute Mme Chen, « et à celles qui ne le peuvent pas maintenant, je leur souhaite de trouver la force de continuer ».