Cannes côté queer, épisode 2 : les cinéastes français sur le devant de la scène LGBT

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Au programme de ce 2ème épisode cannois : les nouveaux films de Catherine Corsini et Katell Quillévéré, un ovni de Bertrand Mandico et une merveille érotique signée Pierre Creton.

Photo du film « Un prince » - JHR Films
Photo du film « Un prince », de Pierre Créton - JHR Films

Viva Corsica

La cinéaste lesbienne Catherine Corsini, lauréate de la Queer Palm 2021 avec La Fracture, revient cette année en Compétition Officielle. Une sélection cannoise qui a d’ores et déjà fait couler beaucoup d’encre. Après maintes accusations, enquêtes et démentis, le tournage de son nouveau film Le Retour  n’a cessé de faire de l’ombre au film lui-même. Mais valait-il la peine de la sélection, et d’éclabousser de fait ainsi ce début de festival avec de nouveaux scandales ? Après La Fracture, qui avait enflammé la Croisette par son humour et les rapports sociaux tendus qu’il mettait en scène, Corsini retrouve son heureuse comédienne césarisée Aïssatou Diallo Sagna dans ce drame estival sur le littoral corse qui convainc moins que prévu.
Alors qu’elle l’avait subitement quittée avec ses enfants en bas âge, Khédidja est de retour sur l’île de Beauté pour l’été pour s’occuper des enfants d’une famille parisienne. Accompagnée de ses deux filles, maintenant adolescentes, elle voit ressurgir les démons d’un passé qu’elle avait effacé. À ce postulat au potentiel mélodramatique élevé, Corsini ne manque heureusement pas d’injecter son habituelle verve scénaristique. Les répliques et scènes comiques fusent et viennent alléger les allants tragiques et parfois poussifs qui jalonnent le film. Le Retour doit en effet beaucoup à l’abattage de son trio d’actrices, dont une Esther Gohourou hilarante et une Suzy Bemba touchante dans la découverte de sa sexualité. On note une scène de sexe amusante, subitement avortée par un lavabo brisé, d’où jaillit avec symbolisme une explosion d’eau.

Le film laisse pourtant un certain goût d’inachevé et semble se perdre, à mesure que les rebondissements alambiqués alourdissent le propos pourtant intéressant sur la filiation familiale et la maternité.

Photo du film « Le Retour » - Chaz Productions

Photo du film « Le Retour » – Chaz Productions

À mes sœurs

Chaque nouveau projet de Bertrand Mandico est un évènement en soi. Avec seulement deux longs-métrages et quelques courts, le cinéaste a su faire de son cinéma l’un des plus précieux de l’hexagone, alliant un sens plastique ultra-prononcé et une imagination débordante d’idées. Juste un an après son western galactique et féminin After Blue, il revient avec Conann, un film en plusieurs chapitres sur les aventures du célèbre mythe viril, de son asservissement à son émancipation.

Délaissant les îles paradisiaques et les planètes inconnues, Mandico délocalise son cinéma dans des décors plus urbains, assumant jusqu’au bout sa part contemporaine. Dans cet univers plus inspiré que jamais, parcourant les enfers où se croisent des démons, succubes, cerbères et autres créatures fascinantes, il narre les six vies de Conann avec six actrices différentes. Dans des décors poisseux et sales, le héros passe de sa vie de barbare à celle de vieille femme décrépie. Le réalisateur signe une œuvre dingue où les femmes, de tous les plans (les seuls hommes qui apparaissent sont des sortes de zombies en sous-vêtements), s’aiment et se détestent, se protègent et s’attaquent. Un pari follement engageant, au service d’une touchante méditation sur le temps, l’art et l’héritage.

D’autant plus fou lorsque l’on sait que le film a presque entièrement été tourné dans un seul théâtre. C’est toute l’intelligence de réalisation de Mandico qui rentre en jeu, poussant les curseurs de son cinéma au maximum sans jamais gaver le spectateur. Car la force de Conann, et c’est peut-être ce qui manquait le plus aux Garçons sauvages et à After Blue, c’est son humour. Un sens du verbe et de la narration qui fluidifie largement le récit du film et s’amuse de ce qu’il montre sans se dévaluer pour autant.

Il en faudra du temps pour oublier les images indélébiles que Conann, sidérant alliage de virtuosité esthétique et scénaristique, a inscrit en nous.

Photo du film « Conann » - UFO Distribution

Photo du film « Conann » – UFO Distribution

Les racines du sexe

A l’instar de Conann, aussi sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes, le nouveau long-métrage de Pierre Créton est ce que Cannes aura montré de plus audacieux depuis longtemps. Avec Un Prince, Creton signe un film rêche et insaisissable, où sexualité âpre et débridée et travail de la nature (on parle d’horticulture et d’apiculture) ne font plus qu’un. Le réalisateur-ouvrier agricole (une double-casquette rare qui a toute son importance) y suit la vie de Pierre-Joseph, de ses 16 ans à ses 60 ans.

Entre son travail botanique et ses nombreuses escapades sexuelles avec des hommes plus âgés, le protagoniste apparaît rapidement comme le reflet du cinéaste, au sein d’une sorte d’auto-fiction fantasmée (Creton interprète lui-même la version quinqua du protagoniste) qui invente sa propre narration. Peu de dialogues, des voix-off omniprésentes –celles de Françoise Lebrun, Mathieu Amalric et Gregory Gadebois– et un amour du verbe franc, les choix de mise en scène du cinéaste sont multiples, mais ne viennent jamais étouffer l’émotion terrassante qui se dégage de la mélancolie du film.

Un Prince a beau être un film érotique, où la sexualité gay est de tous les plans, le réalisateur n’en fait pas pour autant un simple simulacre à images équivoques censées éveiller le désir. À bien des égards, le film est autant sexuel qu’anti-sexuel, érotisant des corps vieillissants et donc souvent mis à la marge des représentations queer au cinéma dans un environnement tout aussi mis de côté – celui de la campagne. En résulte un film dur à appréhender, à l’ambition visuelle et narrative déroutante, qui se révèle petit à petit être un magnifique conte bucolique. Un film rare et charnel, qui figure parmi les plus grands de cette édition cannoise.

Photo du film « Un prince » - JHR Films

Photo du film « Un prince » – JHR Films

Sirk à la plage

Quelques années après la Seconde Guerre Mondiale, Madeleine, jeune serveuse et mère d’un petit garçon hérité d’une histoire d’amour avec un soldat allemand, fait la rencontre de François, un étudiant cultivé. Tous deux cachent un lourd passé.

Malheureusement, à trop vouloir jouer la carte du mélodrame, le film de Katell Quillévéré se confronte rapidement à l’inévitable : n’est pas Douglas Sirk qui veut. Alourdi par un amoncellement d’éléments dramatiques qui se superposent les uns aux autres, le film s’étire à coup d’ellipses de plusieurs années. Bien sûr, ici et là, Le Temps d’aimer fait parfois mouche. Un certain savoir faire s’en dégage, notamment esthétique. La gestion de la lumière, dorée et chaleureuse, élève certaines belles scènes. D’un plan à trois à des séquences musicales, de beaux moments parcellent le film, porté par une Anaïs Demoustier juste et un Vincent Lacoste habité en homme gay discriminé par la société. Mais là encore, la réalisatrice choisit le récit de la honte, de la peur, et inscrit finalement son œuvre dans le traitement classique de l’homosexualité : constamment subie.

Après les beaux Suzanne et Réparer les vivants, puis l’excellente mini-série Arte Le monde de demain, on s’attendait à mieux du nouveau film de la cinéaste.

Photo du film « Le Temps d'aimer » - Roger Arpajou

Photo du film « Le Temps d’aimer » – Roger Arpajou