Etienne Deshoulières : « Il est essentiel de travailler en bonne entente avec les organisations LGBT dans les pays pénalisant l’homosexualité »

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L'avocat Etienne Deshoulières est depuis novembre 2022 président de l'Association pour la Dépénalisation Universelle de l'Homosexualité. Il en explique les moyens d'action, à l'issue d'une conférence qui a réuni des expert·es et des activistes le 6 mars dernier à L'Hôtel de Ville de Paris.

Etienne Deshoulières, président de l'Association pour la Dépénalisation Universelle de l'Homosexualité, le 6 mars 2023
Etienne Deshoulières, président de l'Association pour la Dépénalisation Universelle de l'Homosexualité, le 6 mars 2023 - DR

Le 6 mars dernier, la Mairie de Paris accueillait une conférence internationale consacrée aux droits LGBTI+. Plus précisément, l’Association pour la Dépénalisation Universelle de l’Homosexualité (ADUH) y avait invité plusieurs personnalités, françaises et étrangères, pour débattre de cette question, dans le contexte d’une criminalisation toujours en vigueur dans 68 pays dans le monde.

Parmi les orateur·rices, des experts et des activistes du Sénégal, du Cameroun, de Tunisie, dont l’infatigable avocate Alice NKom, mais aussi des personnalités françaises dont Daniel Borrillo ainsi que l’ambassadeur français pour les droits des personnes LGBTI, Jean-Marc Berthon. Le but était de montrer que des stratégies sont possibles pour avancer sur la voie de la dépénalisation.

Pour Komitid, l’avocat Etienne Deshoulières explique les moyens que compte se donner cette association dans ce combat de longue haleine.

 

Komitid : Étienne Deshoulières, on vous connait pour vos actions en justice avec les associations LGBT. Depuis quand êtes-vous président de l’Association Universelle pour la Dépénalisation de l’Homosexualité ?

Étienne Deshoulières : Nous avons mené près de 200 actions en justice avec Stop Homophobie depuis 10 ans. Plus récemment, j’ai pris part à des programmes d’action humanitaire LGBT organisés par Stop Homophobie, afin d’aider des associations dans des pays où l’homosexualité est pénalisée. J’ai été témoin des persécutions dont sont victimes les personnes LGBT dans un pays comme le Sénégal. Je me suis dit qu’il fallait utiliser les moyens juridiques pour faire avancer la cause dans ces pays. C’est comme cela qu’est née l’idée de créer l’Association pour la Dépénalisation Universelle de l’Homosexualité, que nous avons lancé en novembre 2022.

« Il est temps de remettre cette question sur le devant de la scène des revendications »

Il existe déjà  de nombreux organismes qui luttent en faveur des droits LGBTI+ dans le monde. Qu’est-ce que votre association a de différent ?

La question de la dépénalisation de l’homosexualité a été délaissée par les organisations LGBT+. Il existe très peu de documentation sur la question accessible en ligne. La question n’a pas été abordée lors des dernières World Pride. Il est temps de remettre cette question sur le devant de la scène des revendications.

Vous avez organisé le 6 mars une conférence sur le thème de la dépénalisation. Qu’en attendiez-vous ?

Le but de cette conférence était précisément de remettre cette question au centre du débat public. Il s’agissait également de faire connaître notre association nouvellement créée, en tissant des liens avec les acteurs internationaux engagés sur le sujet et les institutions françaises, notamment l’ambassadeur aux droits des personnes LGBT+ (Jean-Marc Berthon, ndlr). Maintenant que la conférence est passée, nous allons commencer le travail de fond. Nous allons d’abord créer une documentation en ligne sur la dépénalisation, afin que chaque personne poursuivie en raison de son homosexualité dans l’espace francophone puisse trouver de l’aide et un argumentaire juridique revendiquant la dépénalisation dans son pays. Nous allons ensuite financer des procès stratégiques devant les cours supranationales de droit de l’homme et devant les tribunaux locaux dans les pays où l’homosexualité est pénalisée.

La France s’est dotée d’un ambassadeur pour les droits des personnes LGBT+, en la personne de M. Jean-Marc Berthon. Que lui demandez-vous précisément ?

Jean-Marc Berthon nous a vraiment aidés pour l’organisation de la conférence, en permettant à tous nos intervenants africains d’obtenir des visas. Sans son soutien diplomatique, je pense que les intervenants n’auraient pas vu venir à Paris. Nous attendons de lui qu’il utilise les moyens diplomatiques multilatéraux et bilatéraux pour faire avancer la question de la dépénalisation ou, à tout le moins, éviter une (re)pénalisation dans certains pays. Nous attendons également un soutien financier pour les actions en faveur de la dépénalisation et du respect des droits humains des personnes LGBT+. Nous avons eu des rapports très constructifs. Plusieurs programmes de financement devraient voir le jour dès 2024.

« Il est essentiel pour notre organisation de travailler en bonne entente avec les organisations LGBT dans les pays pénalisant l’homosexualité »

Parfois, les associations LGBT locales, dans les pays où sévit la répression de l’homosexualité, peuvent reprocher aux pays du Nord une certaine forme d’arrogance sur ces questions. Comment allez-vous travailler avec les associations et les ONG des pays du Sud ?

Je pense qu’il est temps de créer une véritable solidarité internationale entre les personnes LGBT. Il faut que les personnes LGBT des pays du Nord prennent conscience des persécutions subies par les personnes LGBT des pays du Sud. Il s’agit d’un crime contre l’humanité qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Les organisations internationales LGBT ne peuvent plus ignorer ces crimes.

Les organisations locales, au Nord comme au Sud, sont les seules à avoir une réelle connaissance du terrain et à pouvoir faire un travail local, en particulier pour aider les personnes en détresse et faire évoluer les mentalités. Il est donc essentiel pour notre organisation de travailler en bonne entente avec les organisations LGBT dans les pays pénalisant l’homosexualité, afin de ne pas compromettre leur stratégie locale. Nos objectifs prennent en compte ces impératifs. Nous n’allons pas mener d’action de plaidoyer à la place des organisations locales. Notre action sera restreinte à une stratégie juridique : nous allons mettre à disposition une documentation juridique en ligne et nous allons financer les frais d’avocats des personnes poursuivies pour homosexualité, personnes qui souvent n’ont pas accès à un avocat.

Plus d’informations sur le site de l’Association universelle pour la dépénalisation de l’homosexualité