« Tár » de Todd Field : une Cate Blanchett au sommet à voir sans tarder

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Après 16 ans d'absence, Todd Field revient au cinéma avec « Tár », film vertigineux où Cate Blanchett impressionne en cheffe d'orchestre lesbienne et toxique.

Cate Blanchett dans « Tár » de Todd Field - 2022 Focus Features, LLC

2023 ne déroge pas à la règle : le début d’année est ponctué par les sorties des gros films américains à Oscars. Après Babylon la semaine dernière, et avant les futurs rendez-vous que seront The Fabelmans, The Whale et Women Talking, c’est une anomalie qui vient de sortir dans nos salles obscures. Réalisé par Todd Field, Tár est le mastodonte auquel personne ne s’attendait et dont le destin est presque aussi satisfaisant que le film lui-même.

Il faut dire que Todd Field revient de loin. Après deux long-métrages remarqués et nommés aux Oscars, In The Bedroom en 2002 et Little Children en 2007, le cinéaste s’est fait très discret des plateaux et autres évènements publics. Car en privé, et malgré ces deux succès, Todd Field n’a pas arrêté d’enchaîner les projets avortés. Il développe les scénarios de cinq films qui ne verront jamais le jour, ainsi que celui d’une série qui, elle non plus, n’aura jamais le feu vert.

Allant de déception en déception, le réalisateur s’absente pendant près de 16 ans, laissant pantois ceux qui voyaient en lui l’un des futurs grands noms du cinéma américain. Alors, quand le tournage de Tár est finalement annoncé, avec Cate Blanchett en actrice principal, il était ardu de savoir à quoi s’attendre.

Actrice impériale

Durant les années d’absence de Todd Field, elle n’a fait que consolider son statut d’actrice impériale et accomplie, enchaînant les rôles chez Todd Haynes (I’m Not There, Carol), David Fincher (L’étrange histoire de Benjamin Button), Woody Allen (Blue Jasmine) ou encore Terrence Malick (Song to Song, Knight of Cups).

Leur collaboration avait de quoi étonner. La carrière du film a pourtant commencé sur les chapeaux de roue : un prix d’interprétation à Venise en septembre et un Golden Globes en janvier pour l’actrice, en plus de critiques dithyrambiques venant de toutes parts.

Le film est largement à la hauteur de sa réputation. Cate Blanchett y joue le rôle de Lydia Tár, une cheffe d’orchestre lesbienne au firmament de sa carrière, qui va doucement voir son empire s’écrouler. À ses côtés, l’actrice allemande Nina Hoss joue sa femme, tandis que Noémie Merlant y est une assistante éprise et sous emprise.

Un film exigeant

Avertissement, Tár n’est pas le genre de film qui prend par la main son spectateur pour lui rendre le visionnage plus confortable. Au contraire, Todd Field réalise ici un film rêche, particulièrement exigeant, qui intime à son public concentration et intérêt. À la clé, se trouve une passionnante dissection du pouvoir et de ses mécanismes, incarnés par une actrice au sommet de son art, subtile et féline, qui s’abandonne totalement à son personnage.

Finalement, subtil pourrait être le mot qui définirait le mieux l’entièreté du film, tant Todd Field prend le temps de distiller lentement l’état anxieux, presque paranoïaque, de Lydia Tár, centre de l’attention et épiée par toutes et tous.

Pour autant, et c’est aussi ce qui fait la force du film, le réalisateur a l’intelligence d’esprit de ne laisser aucune ambiguïté autour du personne de Blanchett ou de sa culpabilité. Quand d’autres auraient traité ce genre de récit par le biais du simple thriller, faisant miroiter au public un mystère bête et méchant – Qui dit la vérité ? Est-ce que la victime ment ? – le réalisateur, à l’instar de Ridley Scott avec Le Dernier Duel, se déleste de toute facilité scénaristique. Ici, pas de place au doute, Lydia Tár est coupable et ce n’est même pas un sujet. Ce qui intéresse Todd Field n’est donc pas de prouver ou non sa culpabilité, mais de filmer ce personnage-monstre, véritable maître qui contrôle son monde comme elle contrôle son orchestre : d’une seule main, sûre de son geste et de son emprise.

Symphonie diabolique

Une symphonie diabolique, jamais manichéenne, où Todd Field touche à la fascination pure lorsqu’il capte avec maestria ce moment de basculement où tout commence à échapper à son sujet. Entre l’intensité sonore des orchestres, la froideur de l’architecture allemande, et le visage figé de son actrice, Todd Field soumet chaque aspect de son cadre à sa vision de réalisateur, et se permet donc de proposer un film à la richesse thématique et visuelle virtuose.

Ainsi, Tár apparait comme un phare dans la nuit pour le cinéma d’auteur américain. Un travail d’écriture minutieux, créant de toutes pièces un personnage au récit et à l’incarnation plus palpable que jamais, sur lequel tous les biopics génériques d’Hollywood devraient prendre exemple.

 

« Tár », de Todd Field, avec Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss… en salles depuis le 25 janvier