Guerre en Ukraine : Alice Coffin raconte à Komitid la solidarité qui s'organise pour les femmes lesbiennes et trans en exil

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Depuis le début de la guerre, le 24 février, les militantes membres du réseau Euro CentralAsianLesbian* Community (EL*C) accueillent et accompagnent des lesbiennes ukrainiennes fuyant leur pays. Parmi elles, la militante et conseillère de Paris (EELV) Alice Coffin, en mission en Pologne et en Ukraine et avec qui Komitid a pu échanger.

Des membres d'EL*C en Pologne. De gauche à droite : Alice Coffin, Olena Shevchenko, directrice de l'ONG Insight et Dragana Todorovic, co-directrice de l'EL*C
Des membres d'EL*C en Pologne, en 2022. De gauche à droite : Alice Coffin, Olena Shevchenko, directrice de l'ONG Insight et Dragana Todorovic, co-directrice de l'EL*C - Alice Coffin

Cinq femmes côte à côte regardent l’objectif. Entourées par des montagnes de cartons desquels débordent conserves, couvertures et produits d’hygiène en tout genre, elles se tiennent collées les unes aux autres, faute de place.

Cette image publiée ce mercredi 6 avril sur le compte de l’EL*C est accompagnée d’une légende : « EL*C et @insightua à #Lviv ! Deux membres d’EL*C @yurigotospace et @alicecoffin sont arrivés à Lviv pour rencontrer la fabuleuse équipe de l’ONG Insight LGBTQ réunie par @InsightOlena. Ces génies lesbiens travaillent sans relâche pour abriter les LGBT et envoient partout en Ukraine des milliers d’objets. »

Le 4 avril, Komitid a pu interviewer Alice Coffin, alors en Pologne. Elle nous avait annoncé son intention de passer la frontière. Ce mercredi, en découvrant cette photo, nous avions la confirmation qu’elle était arrivée à bon port.

Partie la veille de Pologne où elle était arrivée le 19 mars dernier, Alice Coffin a fait le trajet jusqu’à Lviv avec sa compagne, dans le but de soutenir et de participer à l’accueil des réfugiées dans le foyer d’hébergement de l’ONG Insight LGBTQ de la ville. Ce foyer est l’un des deux dont dispose l’ONG en Ukraine (le second est à Tchernihiv) auxquels viennent s’ajouter quatre autres lieux d’hébergement situés en Pologne, proches de la frontière avec l’Ukraine.

 

Carte des hébergements EL*C en Ukraine (Lviv et Tchernihiv). En rouge, le passage frontière le plus direct pour se rendre à Lviv.

Carte des hébergements EL*C en Ukraine (Lviv et Tchernihiv). En rouge la ville de Medyka, la ville frontalière entre la Pologne et l’Ukraine et le lieu le plus direct pour se rendre à Lviv.

Constitué d’un noyau dur d’une trentaine de militantes et de 200 à 300 soutiens à travers l’Europe, le réseau EL*C s’est mobilisé dès le début de la guerre en Ukraine pour venir en aide à la communauté LGBTI+ ukrainienne.

« Des personnes qui arrivent sans rien »

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce sont plus d’une centaine de personnes qui ont été accompagnées par le réseau de l’EL*C.

Que ce soit en Ukraine ou en Pologne, « ces personnes arrivent sans rien », a pu constater Alice Coffin. Les profils de ces femmes lesbiennes et trans qui ont fui la guerre en laissant tout derrière elles sont variés. Des personnes seules, des couples voire même, dans certaines situations, des familles entières avec enfants, parents et grands-parents. Un dénominateur commun cependant, toutes «  arrivent épuisées », remarque Alice Coffin.

Partir ou rester ?

Partir ou rester ? La question tiraille souvent les femmes que rencontre Alice. Et les choix se font parfois « de manière erratique », selon la militante et conseillère (EELV) de Paris. Les décisions tiennent parfois à peu de choses pour ces femmes tiraillées entre le déchirement d’avoir à quitter son pays et la volonté d’être en sécurité.

Pour celles qui décident de rejoindre des pays de l’Ouest de l’Europe, les destinations privilégiées sont l’Allemagne où il est, selon la perception commune, « plus facile de trouver du travail », mais aussi les Pays-Bas, la Suède, le Portugal ou encore l’Espagne.

Le 2 mars dernier, la «  directive européenne relative à la protection temporaire », a été activée afin d’aider toute personne fuyant la guerre en Ukraine. Cette protection, approuvée par le Conseil des ministres de l’intérieur des Etats membres de l’Union Européenne octroie automatiquement aux réfugié·es ukrainien·nes une autorisation de séjour de six mois, renouvelable jusqu’à trois ans.  Elle leur accorde également le droit de travailler, d’accéder à l’enseignement public et aux soins médicaux. Ce qui est une nouveauté totale dans l’accueil des réfugié·es. C’est en effet la première fois que ce dispositif de protection est mis en place.

Pour celles qui décident de rester, notamment dans les foyers d’hébergement en Pologne, il y a la conscience qu’un départ signifierait le renoncement à une vie en Ukraine. « Elles ont conscience que si elles partent, elles devront réellement reconstruire leur vie ailleurs », confie à Komitid Alice Coffin.

Mais il arrive que les parcours soient plus complexes. La militante française nous cite par exemple le cas de ces deux femmes ukrainiennes qui, une fois arrivées dans un des foyers polonais de l’organisation, ont fait marche arrière et sont retournées dans leur pays. Aujourd’hui à Kiev, elles souhaitent repartir, ayant pris conscience du danger qui les guette.

Comme souvent dans ces moments où l’entraide croise la guerre, de belles histoires surgissent malgré l’horreur. C’est le cas de ce couple lesbien qui, parti en Espagne, a envoyé à Alice une photographie depuis le stade Camp Nou de Barcelone où les deux femmes s’étaient rendues pour assister à un match de football.

Un accompagnement psychologique

A l’accompagnement administratif et matériel, vient s’ajouter un accompagnement psychologique, notamment pour celles encore en Ukraine. Dès les premiers jours de la guerre, une ligne d’assistance téléphonique ouverte 24 heures sur 24 a été mise en place. « L’accompagnement psychologique est une priorité et a été une de nos premières actions », nous explique Alice.

Une mobilisation à l’échelle européenne

La force de cette initiative est le maillage dont bénéficie l’EL*C. Grâce à un réseau européen construit dès 2017 avec l’organisation de la première conférence de l’EL*C à Vienne, le mouvement a pu bénéficier d’une grande rapidité d’action.

Un réseau d’ailleurs renforcé deux ans plus tard à Kiev où avait eu lieu la seconde conférence en 2019. A l’époque, Alice Coffin avait été marquée par l’organisation et la taille importante de l’association Insight, association ukrainienne LGBTI+, aujourd’hui en charge de l’accueil des réfugiées dans les hébergements ukrainiens.

 

kiev european lesbian conference

Les participantes de la 2ème édition de la Conférence lesbienne européenne, réunies à Kiev du 11 au 14 avril 2019 – EL*C

Une double violence pour la communauté LGBTI+

La situation de la communauté LGBTI+ est d’autant plus tragique que celle-ci est confrontée à une double violence. La violence LGBTphobe vient s’adjoindre à la violence de la guerre.

C’est particulièrement le cas pour les femmes trans. Pour nombre d’entre elles, il est quasiment impossible de sortir du pays car, n’ayant pas changé d’état civil, elles sont considérées comme étant des hommes. Depuis le 25 février et l’annonce de la « mobilisation générale », les hommes de 18 à 60 ans ne peuvent plus quitter le pays.

Dans certains territoires, les femmes trans s’enferment chez elles, de peur qu’on découvre leur identité. Pour les protéger, certaines associations sont allées jusqu’à leur conseiller de détruire leurs papiers d’identité comme le raconte le média VICE dans un de ses articles. 

Une rhétorique LGBTphobe

Dans son discours du 24 février, annonçant l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine, le président russe, avait consacré une partie de sa prise de parole à ce qui, dans les pays de l’Ouest, menaçait les valeurs traditionnelles de la société russe. «  Ils ont cherché à détruire nos valeurs traditionnelles et à nous imposer leurs fausses valeurs qui nous éroderaient, nous, notre peuple de l’intérieur, les attitudes qu’ils ont imposées de manière agressive à leurs pays, des attitudes qui conduisent directement à la dégradation et à la dégénérescence, parce qu’elles sont contraires à la nature humaine. »

Parmi ces fausses valeurs se trouve notamment celles défendues par la communauté LGBTI+. Celle-ci est la cible d’attaques répétées de la part du pouvoir central russe depuis plusieurs années, comme le racontait à Komitid Aude Le Moullec-Rieu, présidente dans l’ARDHIS, dans un récent article.

Un discours lgbtphobe qui ne date pas d’hier. En 2013, Vladimir Poutine avait ratifié un texte de loi interdisant la « propagande homosexuelle en Russie auprès des mineurs ».

Une rhétorique homophobe que des candidat·es à l’élection présidentielle française n’hésitent d’ailleurs pas à défendre.

Pour participer à la collecte de fonds de l’EL*C pour aider les réfugié·es, cliquez sur Lesbians For Refugees