1975, l'assassinat de Pasolini : un cold case à l'italienne

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Pour la journaliste et criminologue Simona Zecchi, qui a publié deux livres d'enquête sur cette affaire, les autorités italiennes n'ont jamais eu vraiment la volonté de faire la lumière.

1975, l'assassinat de Pasolini : un cold case à l'italienne
Deux éditions de Pier Paolo Pasolini - Stefano Chiacchiarini '74 / Shutterstock

Une dispute qui tourne mal ? Un chantage ? La main de la pègre ou de l’extrême droite ? Près d’un demi-siècle après le meurtre de Pier Paolo Pasolini, cinéaste et écrivain gay qui ne manquait pas d’ennemis, le mystère demeure.

Saura-t-on jamais ce qu’il s’est passé ? Probablement pas. Dès le départ, l’enquête a été bâclée, la scène du crime piétinée, les témoins ont perdu la mémoire ou sont passés de vie à trépas.

Pour la journaliste et criminologue Simona Zecchi, qui a publié deux livres d’enquête sur cette affaire, les autorités italiennes n’ont jamais eu vraiment la volonté de faire la lumière. « L’Italie a un problème avec la vérité, parce que cette vérité a souvent traversé la partie obscure de nos institutions », estime-t-elle.

Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, Pasolini, 53 ans, est assassiné à Ostie, sur une plage du littoral de Rome. Il a été roué de coups, puis une Alfa Romeo GT, la sienne ou une autre, est passée sur son corps.

Le même jour, Giuseppe « Pino » Pelosi, un travailleur du sexe de 17 ans, est arrêté au volant de la voiture de la victime. Il se dit seul coupable, affirmant s’être défendu d’une tentative de viol de la part du réalisateur.

Pino Pelosi est condamné l’année suivante à neuf ans et sept mois de prison.

Mis à mort par un jeune homme gay, son corps retrouvé dans un quartier misérable de la capitale, Pasolini « est la victime de ses personnages, une tragédie parfaite, prévue dans ses divers aspects », dira le cinéaste Michelangelo Antonioni.

Pino Pelosi reviendra en 2005 sur ses aveux, incriminant, sans les identifier, trois inconnus à l’accent sicilien. Il affirmera avoir tu la vérité pour protéger sa famille.

En 2010, une enquête est rouverte : cinq ADN prélevés sur les vêtements de Pasolini sont exploitables. Mais en 2015, le juge prononce un non-lieu. Sur les cinq profils ADN, un seul a pu être attribué, celui de… Pino Pelosi.

La présence sur place d’autres voyous la nuit du drame ne fait pourtant aujourd’hui aucun doute. Le nom des frères Borsellino, entre autres, apparaissait déjà en 1975 mais ils n’avaient pas été jugés et sont morts depuis.

Un crime politique ?

Pour la justice, le dossier est classé. Pour d’autres, amis ou journalistes, l’affaire Pasolini est un « cold case ». Pino Pelosi n’aurait été que l’instrument d’un complot. Mais un complot ourdi par qui ? Pourquoi ?

« La grande difficulté, c’est que personne n’était au courant de tout sur toute la chaîne, des exécutants aux commanditaires, il y a eu probablement plusieurs strates », explique à l’AFP l’écrivain français René de Ceccatty, son biographe. « A partir du moment où on accepte que c’était un crime politique, on ne s’étonne pas qu’il y ait autant de brouillard ».

En 1975, l’Italie est plongée dans une vague de violence sans précédent depuis la guerre. Ce sont les années de plomb. Les groupes armés d’extrême gauche pratiquent l’assassinat, des groupuscules néo-fascistes commettent des attentats sanglants. Pasolini est proche du Parti communiste italien, le PCI, qui fera 35 % aux législatives de 1976.

Peu avant sa mort, le réalisateur avait reçu des menaces pour son ultime film, Salò ou les 120 journées de Sodome, qui dénonçait de façon féroce la « République sociale italienne » (1943-1945), dernier avatar du fascisme en Italie.

Autre hypothèse : dans un chapitre disparu de son livre posthume et inachevé Pétrole, Pasolini devait accuser le patron du groupe énergétique ENI, Eugenio Cefis, d’avoir assassiné son prédécesseur, Enrico Mattei, mort dans un accident d’avion causé par un explosif. Là encore, il n’existe aucune preuve formelle.

Pour Simona Zecchi, le poète a bien été tué pour ses activités de journaliste. La piste la plus sérieuse, selon elle, est celle de la piazza Fontana, l’attentat néo-fasciste commis à Milan le 12 décembre 1969 et qui avait fait 17 morts et plus de 80 blessés. Le 14 novembre 1974, Pasolini faisait paraître une tribune atomique dans le quotidien Il Corriere della Sera : « Je connais les noms des responsables (…) mais je n’ai pas de preuves ».

Reste l’hypothèse d’un chantage. Au mois d’août 1975, des bobines de Salò sont volées à Rome. Pelosi aurait été l’intermédiaire. Les enquêteurs n’y croient pas. Le film était quasiment monté. « Le vol n’avait pas représenté un préjudice significatif », conclut l’arrêt de non-lieu de 2015 consulté par l’AFP.