Le Mucem retrace l'histoire des combattantes et combattants du sida dans une expo événement

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« Séropositif et ancien militant, c'est avec une certaine appréhension que j'ai abordé la visite de l'exposition consacrée au VIH/sida et présentée au Mucem ».

L'exposition « VIH/sida - l'épidémie n'est pas finie » se tient au Mucem, à Marseille, jusqu'au 2 mai 2022 - Christophe Martet pour Komitid

[Mise à jour] Ajout des autres commissaires

Séropositif et ancien militant, c’est avec une certaine appréhension que j’ai abordé la visite de l’exposition consacrée au VIH/sida au Mucem, à Marseille. L’appréhension de croiser, au fil du parcours, des voix et des visages de proches disparus. Cette émotion va de fait me submerger lorsque, dans un espace conçu par le documentariste et vidéaste Stéphane Gérard, sur des vidéos de Lionel Soukaz, et surmonté de banderoles d’Act Up-Paris, je vois le visage et j’entends surtout la voix de Cleews Vellay, charismatique président d’Act Up-Paris, mort en 1994.

Dans une séquence, il s’adresse en 1993 au Directeur général de la santé qui a commencé un long exposé face aux militants réunis en Réunion hebdomadaire et il lui lance une phrase cinglante dont il avait le secret : « Le sujet, c’est pas vous, vous allez arrêter de parler de vous, et vous allez surtout répondre aux questions, sinon vous n’avez rien à faire ici. » Ce moment, je l’ai vécu, et c’est un cliché de le dire comme cela, mais c’est comme si c’était hier.

Plus loin, c’est le visage encore poupin de Ludovic Bouchet, jeune hémophile contaminé et militant dès l’âge de 15 ans à Act Up-Paris, avec sa mère, qui apparaît, dans une vidéo consacrée aux paroles des militant·es. Ludo est mort il y a deux ans vaincu par des années de santé précaire.

Des affiches de prévention contre le sida au Mucem - Christophe Martet pour Komitid

Si une forme de tristesse m’a accompagné durant toute la visite de l’expo, mardi 14 décembre, j’y ai aussi retrouvé cette énergie incroyable, incandescente des actions militantes. Certains pourraient reprocher aux commissaires d’avoir beaucoup privilégié l’histoire d’Act Up-Paris. C’est vrai que parmi les objets, les affiches, les posters, les tracts, les banderoles, les T shirts, la plupart sont signés Act Up-Paris et proviennent des collections même du Mucem. Mais cela correspond aussi à cette volonté de l’association activiste de produire des images, de solliciter l’attention des médias afin de mettre l’épidémie à la une à une époque où elle restait taboue.

Il faut dire aussi que la genèse de cette exposition est très ancienne, comme nous l’a expliqué Florent Molle, un des commissaires. Dès 1994, le Musée des Arts et traditions populaires (qui deviendra par la suite le Mucem) commence à collecter des documents et des objets. Je me souviens très bien de Françoise Loux, anthropologue, une autre commissaire de l’expo, qui venait, à la fin des manifs d’Act Up-Paris, récupérer les badges, les posters, les tracts, les stickers. A tel point que nous avions fini par l’appeler affectueusement la « voiture balai ». Difficile d’imaginer que près de trois décennies plus tard, tous ces objets constitueraient une partie des visuels présentés.

 

Une vue de l’exposition « VIH/sida – l’épidémie n’est pas finie » – Christophe Martet pour Komitid

Histoire sociale et politique

D’emblée, le titre de l’exposition « VIH/ sida, l’épidémie n’est pas finie ! » s’est imposé aux commissaires, parmi lesquels on trouve également Christophe Broqua (auteur d’une thèse sur Act Up-Paris), Renaud Chantraine ou encore Caroline Chenu et Vincent Douris (de Sidaction). Il faut aussi mentionner Stéphane Abriol et aussi l’anthropologue Sandrine Musso, qui a été très importante durant toute la préparation et qui est décédée en août 2021.

Raconter l’histoire sociale et politique du sida, à travers les mobilisations de la « société civile » mais surtout des malades, est une première dans un musée national en France. Et le Mucem a déployé les grands moyens avec une scénographie ample et un parcours intelligent.

Cette exposition va vous permettre d’approcher l’expérience vitale de ces hommes et ces femmes dont le combat pourrait se résumer à : « rester en vie ».

Si vous êtes à la recherche d’infos médicales ou scientifiques, vous risquez de rester un peu sur votre faim. Mais si vous voulez découvrir ce qu’est un mouvement social inédit par sa capacité à créer des images fortes, à mobiliser, à renverser les rapports de pouvoir entre médecins et patients, à faire avancer la recherche, à mobiliser les personnes issues des minorités, cette exposition va vous permettre d’approcher l’expérience vitale de ces hommes et ces femmes dont le combat pourrait se résumer à : « rester en vie ».

L’exposition s’ouvre sur une série de vidéos (tournées par Mario Fanfani et Emmanuel Vigier), dans lesquels des acteurs et actrices de la lutte contre le sida sont confrontées à des archives anciennes de la télévision, entre sensationnalisme, nécessité de rassurer et incertitudes scientifiques. Toute ressemblance avec ce que l’on vit aujourd’hui avec l’épidémie de Covid n’est peut-être pas tout à fait fortuite.

 

Vue de l’exposition « VIH/sida – l’épidémie n’est pas finie ! » – Christophe Martet pour Komitid

 

La mobilisation prend avec la lutte contre le sida des formes assez inédites, bien représentées au Mucem. Une très belle séquence montre ainsi l’importance qu’ont pu avoir Les Soeurs de la perpétuelle indulgence, un groupe d’activistes du milieu LGBT, qui donnent à l’activisme politique ses premières lettres de noblesse. Autre temps fort, la présentation de deux patchworks, ces carrés de tissus composés de huit panneaux et réalisés par des proches de personnes mortes du sida. Aujourd’hui objet patrimonial, les patchworks ont contribué, notamment lors de déploiements spectaculaires aux  États-Unis, à la prise de conscience de l’ampleur de l’épidémie et du poids du deuil dans la communauté gay.

 

VIH/sida au présent

Le VIH/sida au présent, ce sont notamment les très beaux portraits de pairs éducateurs réalisés par le photographe Régis Samba Kounzi lors de séjours en Afrique. C’est aussi la salle consacrée aux traitements, qui laisse à voir l’évolution de la prise en charge médicale des malades, depuis les monothérapies inefficaces de la fin des années 80 au traitement injectable (tous les deux mois) bientôt mis sur le marché. C’est aussi un des derniers espaces de la visite, consacré aux militants et experts actuels dans le champ de la prévention, de la santé communutaire et de l’activisme, et dans lequel on reconnaît les visages familiers de Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess-T, et de Thibaut Jedrzejewski, du centre de santé sexuelle Le 190. 

À l’issue de la visite, je ne peux m’empêcher de penser que nombre d’acquis de la lutte contre le sida sur la parole des malades, sur l’accès aux traitements pour tous, sur la démocratie sanitaire, qu’on pensait « gravés dans le marbre » ont été mis à mal par la précarité grandissante des personnes vivant avec le VIH, par des politiques publiques toujours répressives envers en particulier les personnes migrantes et les travailleurs du sexe, par l’avidité et la soif du profit de l’industrie pharmaceutique.

Plus de vingt ans après que les activistes ont pu faire la démonstration du bien-fondé des génériques et dénoncer les méfaits de la propriété intellectuelle et de la politique des brevets, l’expérience du Covid (où seulement 6 % de la population a été vaccinée) nous rappelle que les inégalités en matière de santé, loin de se résorber, semblent même s’être accrues. La mobilisation spectaculaire et globale qui s’est développée pour lutter contre le sida n’a aujourd’hui pas vraiment d’équivalent. Et ça aussi, c’est bien triste. Pour ne pas dire révoltant.

« VIH/sida – l’épidémie n’est pas finie ! », au Mucem, à Marseille, jusqu’au 2 mai 2022

  • phil86

    Tout à l’heure sur Grindr je me suis fait violemment agressé par un utilisateur à cause de ma séropositivité il y a encore beaucoup beaucoup de chemin à parcourir surtout dans cette période de régression fascisante.

  • gkoskovich

    L’exposition présente l’histoire sociale, politique et culturelle de la pandémie avec une franchise, une puissance et une tendresse de regard presque jamais osées par les grands musées nationaux quand il s’agit des thèmes du militantisme et surtout de la sexualité.

    Le long travail des commissaires se voit dans le choix des sujets abordés et des matériaux historiques exposés ainsi que dans le contenu des cartels. L’ensemble est clairement marqué par leur volonté de fonder l’exposition sur une série publique de séminaires de recherche et sur des dialogues avec les communautés affectées.

    En tant que membre du comité de suivi de l’exposition, je dois dire que j’ai trouvé très émouvante ma visite en avant première la semaine dernière lors de l’accrochage. Je suis reconnaissant au Mucem et à toutes celles et tout ceux qui ont contribué à la création de cette exposition.