L'interdiction des thérapies de conversion devant l'Assemblée mardi

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Comment mieux lutter contre les pseudo thérapeutes ou mouvements religieux qui veulent imposer l'hétérosexualité aux personnes LGBTI+ ? L'Assemblée nationale examine à partir de mardi 5 octobre une proposition de loi LREM pour réaffirmer l'interdiction des thérapies de conversion, grâce à un délit spécifique.

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L'Assemblée nationale, à Paris - Petr Kovalenkov / Shutterstock

Ces pratiques qui prétendent « soigner » les personnes LGBTI+ sont mal connues en France et difficilement quantifiables. Auteur·es d’une mission sur le sujet en 2019, la députée LREM Laurence Vanceunebrock et l’Insoumis Bastien Lachaud évoquaient une « centaine de cas récents  », s’alarmant de « l’augmentation des signalements ».

Ces deux parlementaires distinguent ces soi-disant « thérapies » en trois catégories : « religieuses », entre appels à l’abstinence et séances « d’exorcisme ». « Médicales » avec traitements hormonaux, hypnose, voire électrochocs. Et « sociétales » par le recours aux « mariages forcés  » hétérosexuels. En plus de ne reposer sur « aucun fondement scientifique », ces pratiques « ont des effets dramatiques et durables sur la santé physique et mentale des personnes qui les subissent : dépression, isolement, suicide », écrit son texte.

Délit spécifique

De tels actes peuvent déjà tomber sous le coup de la loi, via les violences volontaires, l’abus de faiblesse, l’exercice illégal de la médecine, le harcèlement ou la discrimination… Mais Laurence Vanceunebrock juge nécessaire un délit spécifique pour mieux prendre la mesure du phénomène et soutenir les victimes face à la difficulté de porter plainte et « l’emprise » de certains entourages.

Examinée en première lecture, en procédure accélérée, sa proposition de loi punit ces pseudo « thérapies » de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, portés à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis au préjudice d’un·e mineur·e.

Reste à savoir si le texte pourra aboutir, puisque le Parlement achève ses travaux fin février, en raison de l’élection présidentielle d’avril. Confiante, Laurence Vanceunebrock compte sur «  l’appui du gouvernement » et le « soutien de l’opinion publique ».

« Cela dépendra de l’attitude du Sénat », nuance une source parlementaire, qui estime que cette proposition de loi «  ne sert à rien juridiquement mais permet d’alerter et de rappeler que c’est illégal, alors que certaines structures font croire le contraire  ».

Parmi les associations LGBTI+ et dans la société civile, la mobilisation s’intensifie. Les chanteurs Eddy de Pretto et Hoshi ont demandé fin avril aux députés d’agir.

« Quantifier le phénomène »

« Des dizaines et des dizaines de témoignages sont sortis  », assurait récemment à l’AFP Timothée de Rauglaudre, coauteur du livre Dieu est amour et du documentaire Homothérapies, conversion forcée.

Les soutiens se multiplient sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #RienAGuerir, du nom d’un collectif de victimes lancé en 2020.

Mi-septembre, la ministre chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, a confié une mission sur cette « pratique indigne » à la Miviludes, l’organe de lutte contre les dérives sectaires rattaché au ministère de l’Intérieur. Elle devra « expliciter » et « quantifier le phénomène, en analysant en particulier sa dimension de dérive sectaire », alors que plusieurs organisations « spirituelles » ont été pointées du doigt lors des auditions parlementaires.

En juillet, dans son dernier rapport d’activité, la Miviludes indiquait toutefois n’avoir « réceptionné » de 2018 à 2020 que « très peu de signalements sur les thérapies de conversion alors que la mission parlementaire a permis de libérer la parole et de mettre au jour leur existence sur le territoire français  ».

L’Association Le Refuge avait expliqué aux député·es recevoir une dizaine d’appels par mois à ce sujet.

La proposition de loi devrait recevoir un large soutien dans l’hémicycle. En commission, des député·es ont unanimement condamné des « maltraitances moyenâgeuses » et « révoltantes », et leurs graves conséquences pour les victimes.

À gauche, des élu·es ont reproché au gouvernement ses « tergiversations » avant d’inscrire ce texte à l’ordre du jour, alors que l’avenir d’autres propositions de loi sociétales sur l’extension de la durée légale de l’IVG ou l’euthanasie semble encore plus incertain, voire compromis, avant la fin du quinquennat.

À droite, le LR Xavier Breton, proche de la Manif pour tous, estime « à titre personnel » que le texte pose des problèmes de « solidité juridique » en raison de « conflits de qualification  » pénale. Surtout, il déplore « l’introduction » dans la loi « du concept d’identité de genre qui pose », selon lui, « beaucoup de questions  ».

L’Église attendue au tournant

« La loi ne suffit pas » : alors que l’Assemblée nationale s’apprête à examiner une proposition de loi pour interdire les thérapies de conversion, des associations de victimes demandent à l’Église catholique d’agir contre ces pratiques. « Il faut aussi que les institutions religieuses et médicales s’expriment sur le sujet  », prévient toutefois Benoît Berthe-Siward, le porte-parole du collectif de victimes.

Des groupes des églises évangliques pratiqueraient aussi les thérapies de conversion et sont pointés du doigt.

Malgré la médiatisation du phénomène et les témoignages de victimes, Cyrille de Compiègne, porte-parole de l’association de chrétien·nes LGBTI+ David & Jonathan, « n’a pas le sentiment qu’il y ait eu une réelle prise en compte de ces pratiques par l’Église catholique, et du danger qu’elles représentent pour les victimes ».

En 2019, après la diffusion du documentaire Homothérapies : conversion forcée, Benoît Berthe-Siward attendait que la Conférence des évêques de France (CEF) écrive « un communiqué pour que l’Église catholique se détache de ces dérives ». Une note interne rappelant que « l’Église n’a jamais cautionné ces thérapies » a bien été écrite et diffusée par la CEF, mais elle n’a été rendue publique qu’un an plus tard, devant l’insistance du collectif Rien à guérir.

« Réaction pas très claire »

« Les choses vont rester un peu moins confidentielles » dorénavant, promet Mgr Bruno Feillet, président du Conseil famille et société à la CEF. Il assure que l’institution « condamne » ces pratiques qui « laissent entendre qu’on peut guérir de l’homosexualité » alors que « ce n’est pas une maladie ».

Sa parole tranche avec la « réaction pas très claire » des institutions catholiques et des responsables religieux pendant des années, que regrettait Cyrille de Compiègne. Outre « la reconnaissance officielle d’abus qui ont pu se passer au sein de l’Église catholique et de dérives  », Benoît Berthe-Siward souhaite de la CEF une «  liste d’engagements pris pour les combattre ».

Plus que des mots, les associations de victimes exigent désormais des actes. « Il y a un aspect communication, mais derrière, avoir un cadre de signalement (pour les victimes, NDLR), de veille et d’encadrement des pratiques est important », souligne Cyrille de Compiègne. « Courage se réclame de l’Eglise catholique mais n’a pas demandé la caution officielle de la Conférence des évêques  », argue Mgr Feillet. « On peut les convoquer et leur demander ce qu’ils font » mais ils « ont nié faire des thérapies de conversion  ». Il compte avant tout « renvoyer la note écrite en 2019, qui dit bien le contexte et la position de l’Église catholique, de telle sorte que tous les évêques aient des éléments de discernement ».

Insuffisant, tranche d’ores et déjà Jean-Michel Dunand, victime de huit séances d’exorcisme dans sa jeunesse, au sein d’une communauté de la mouvance du Renouveau charismatique. « L’Église ne prend pas le problème au sérieux parce que les thérapies de conversion ne sont que la face visible de l’iceberg : il y a une lecture fondamentaliste de la Bible, un discours culpabilisant pour les personnes homosexuelles, trans… Un obscurantisme ». « Il va falloir faire un travail de fond, revisiter certains articles du catéchisme », prévient-il.

En Europe, Malte et l’Allemagne ont déjà interdit ces thérapies de conversion. Des démarches similaires sont engagées aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Au Canada, les députés ont adopté un projet de loi fin juin.

Avec l’AFP