Au Mémorial de la Shoah, une exposition sur la persécution des gays et lesbiennes en Europe

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La persécution des gays et lesbiennes a trouvé son paroxysme sous le nazisme mais elle a revêtu de multiples formes en Europe au XXe siècle : une exposition au Mémorial de la Shoah documente une stigmatisation qui a précédé le nazisme et lui a survécu.

mémorial de la Shoah
Le Mémorial de la Shoah à Paris - Guilhem Vellut / Commons

Cette exposition, qui ouvre jeudi 17 juin, est dans l’esprit d’autres expositions thématiques dont le Mémorial de la Shoah s’est fait une spécialité, avec nombre de photos et documents d’époque : génocide des Tutsis au Rwanda, discrimination des gens du voyage au XXe siècle, marché de l’art sous l’Occupation, etc.

« Le Mémorial est parmi les premiers à aborder le thème des homosexuels et lesbiennes sous forme d’une exposition  », a expliqué son directeur Jacques Fredj, soulignant la vocation de l’institution à éclairer « tous les sujets liés aux stéréotypes  ».

À côté de célébrités comme Erika Mann, fille de l’écrivain Thomas Mann, l’exposition retrace des parcours d’inconnu·es. Frappante est l’extrême diversité : certains revendiquent leur homosexualité, mais beaucoup mènent une double vie.

Rapport de police sur l’Hôtel de Marigny, lieu de rencontres homosexuelles que fréquentait Marcel Proust à Paris, lettre de dénonciation d’un couple d’hommes qui « vit comme mari et femme » dans leur immeuble en Allemagne sous le régime nazi… Les documents de différents pays restituent l’ambiance glaçante en Europe dans la première moitié du XXe siècle.

Le paragraphe 175

Avant 1933, Allemagne, Autriche, Angleterre punissent ces relations plus sévèrement que la France ou l’Italie. C’est pourtant d’Allemagne que part le premier mouvement pour défendre l’homosexualité. Dès 1897, est publié l’ouvrage Le troisième sexe de Magnus Hirschfeld, qui compte 19 éditions et est vendu à 50 000 exemplaires. Berlin mais aussi Paris laissent s’exprimer une culture homosexuelle.

« Nous avons investi un espace géographique et temporel plus large que l’Allemagne nazie et étendu le champ d’études aux lesbiennes invisibilisées. Nous avons retenu autant d’itinéraires d’hommes que de femmes  », souligne la commissaire Florence Tamagne, spécialiste de l’histoire de l’homosexualité, qui revendique une approche « mémorielle » et « scientifique ».

Le régime nazi n’avait pas de plan défini d’extermination des homosexuels – à la différence de ce qui a été mis en oeuvre pour les juifs. Des dirigeants, tels Ernst Röhm, fondateur de la milice SA et assassiné en 1934, étaient homosexuels. Un « homo-érotisme » exaltait la force et l’amitié viriles dans la littérature et l’art (Arno Breker, Leni Riefenstahl…).

Mais ils étaient persécutés, en vertu du paragraphe 175 du code pénal allemand de 1871, durci en 1935 : certains sont condamnés à des peines de prison, une partie sont déportés. Ces porteurs du « triangle rose » sont souvent isolés dans les camps, vus avec hostilité par les autres détenus.

Une minorité est relâchée. D’autres sont placés dans les hôpitaux psychiatriques, ils sont castrés ou euthanasiés. Ceux qui sont jugés « guéris » sont envoyés dans la Wehrmacht. Les tribunaux militaires en condamnent à mort ou les envoient à la boucherie sur le front russe.

Sur près de 100 000 homosexuels allemands fichés par le régime, entre 5 000 et 15 000 sont envoyés dans les camps, où la plupart meurent. Certains sont déportés parce que juifs ou communistes.

Les lesbiennes ne sont pas poursuivies en Allemagne – le paragraphe 175 ne s’applique pas aux lesbiennes – mais elles doivent vivre leur identité sexuelle de manière cachée. Elles sont quelques unes à contracter un mariage blanc pour mener une double vie. En Autriche, certaines sont déportées en tant que « asociales ».

Après 1945

La répression de l’homosexualité masculine ne s’arrête à la chute du nazisme. Après 1945, la justice allemande continue de prononcer des condamnations contre les hommes homosexuels — plusieurs milliers au total. Jusqu’en 1994, année de la suppression du paragraphe 175.

La question de « la répression n’est pas derrière nous, comme on le voit aujourd’hui en Hongrie », relève Florence Tamagne.

Avec l’AFP