La communauté LGBTI+ du Venezuela ne veut plus être « invisible »

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Un drame en a entraîné un autre : la Vénézuelienne Migdely Miranda a dû fuir avec son bébé après la mort de sa femme, Ginyveth, pour conserver la garde de leur enfant, car son pays ne reconnaît aucun droit aux couples de même sexe.

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La marche des fiertés à Caracas en 2019 - Edgloris Marys / Shutterstock

Migdely Miranda et Ginyveth Soto s’étaient mariées en 2013 en Argentine où elles ont eu leur fils grâce à la procréation assistée, avant de revenir au Venezuela. Mais en 2014 Ginyveth a été assassinée, victime de la criminalité dans le pays parmi les plus violents du monde.

Midgely est alors repartie en Argentine, craignant d’être dépossédée de son fils, aujourd’hui âgé de 6 ans, par sa belle famille. « Les parents de ma femme voulaient prendre mon fils » et « avaient lancé une procédure », raconte-t-elle à l’AFP depuis Buenos Aires.

« Nous sommes victimes de la violence économique et patrimoniale. J’ai demandé à ce que les biens de mon épouse soient transférés à mon fils, qui avait trois mois à l’époque », dit-elle émue à l’évocation de ce mauvais souvenir. Selon elle, sa belle-famille comptait arguer, entre autres motifs, que Midgely, privée de la succession, n’avait pas les moyens d’élever son enfant.

Au Venezuela, les couples de même sexe n’ont aucune existence légale. « Je n’ai même pas pu décider quoi que ce soit pour le corps de mon épouse, crémation ou enterrement. Je n’ai pas pu la voir à la morgue… Comme si j’étais une complète inconnue », souffle-t-elle.

« Volonté politique »

La communauté LGBTI+ du Venezuela milite pour le «  mariage égalitaire », mais se heurte à un mur dans un pays conservateur sur le sujet et où l’Église joue un rôle important. « Ce n’est pas un gadget. Nos droits sont systématiquement niés », estime Haischel Escorche, militante de 44 ans dans son appartement de Caracas où elle réside avec sa compagne Kika Palacios.

« Ça va plus loin que le simple patrimoine  », dit-elle, estimant qu’il faut aussi inclure « l’adoption, la famille » ou connaître le décisionnaire en cas de besoins médicaux ou pour les questions post-mortem. « À force de s’être rendues invisibles pour éviter la confrontation avec la société, on a fini par être invisibles », constate-t-elle amère.

Pionnière en Amérique latine, l’Argentine a été le premier pays de la région à légaliser en 2012 le mariage pour tou·tes et à accorder aux couples homosexuels le droit d’adopter ou d’avoir accès à la procréation assistée.

L’Uruguay, le Brésil, la Colombie, l’Equateur, le Costa Rica et une partie du Mexique (14 sur 32 États) lui ont emboîté le pas, avec pour certains la reconnaissance des familles homoparentales. La Bolivie et le Chili ont une union civile.

Pourtant en 2008, la Cour suprême du Venezuela avait rendu une décision « n’interdisant pas les unions de personnes de même sexe  » et avait jugé en 2016 que les familles homoparentales devaient bénéficier de protection. Mais le législateur n’a jamais suivi.

« On nous discrimine par omission. On ne nie pas nos droits, on ne nous condamne pas, mais en même temps on n’affirme pas les droits de la communauté LGBTI », estime Richelle Briceno, avocate trans qui dénonce l’absence de « volonté politique ».

« Me marier dans mon pays est mon droit  », proclamait une pancarte lors d’une manifestation il y a quelques semaines à Caracas.

Lors de la campagne des législatives de décembre boycottée par l’opposition, le président socialiste Nicolas Maduro avait abordé la question du mariage pour tou·tes, mais il a depuis estimé que ce n’était pas une « priorité » dans le pays en plein marasme économique.

Se défendant de toute homophobie, le pasteur évangélique Alfonso Campos dit vouloir préserver le « mariage traditionnel » et assure qu’il faut une révision constitutionnelle. La Constitution de 1999 ne prévoit que le mariage « entre un homme et une femme  », fait-il valoir, appelant à un référendum. Iris Varela, vice-présidente du Parlement, se dit ouvertement contre le mariage pour tou·tes, proposant une loi sur la communauté des biens.

« Je suis victime mais mon fils aussi. Il a été privé d’un cadre juridique qui l’aurait aidé et lui aurait permis d’avoir une vie différente », déplore Midgely, privée de l’héritage de son épouse.

Avec l’AFP