#MeTooGay : pour le journaliste Nicolas Martin, « transformer le traumatisme en combat »

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Le « paradoxe » est que « ce qui m'a détruit » est « aussi un élément de ma construction » : Nicolas Martin, journaliste à France Culture, a franchi le pas vendredi 22 janvier avec des milliers d'anonymes autour de #MeTooGay, pour briser le silence sur les violences sexuelles dont il a été victime enfant.

Nicolas Martin
Nicolas Martin au Forum les Idées Claires au studio 104 de Radio France, en 2019 - NTourgueniev / Commons

« Si cette parole-là permet à n’importe quel gamin de rompre le silence, de lui entrebâiller la porte dans le noir, tout est gagné », explique d’emblée Nicolas Martin, journaliste à France Culture et producteur de la Méthode scientifique. De la même voix, rapide, précise et limpide qui décrypte chaque jour l’actualité de la pandémie de Covid-19, il replonge succinctement dans ces années qui ont bouleversé sa vie.

« C’était un voisin. Ça a commencé par du chantage : “ si tu ne fais pas ça avec moi, je te dénoncerai à tes parents ”. J’avais 11 ans, j’étais un petit garçon, j’avais un corps d’enfant. Lui avait 16 ans et un corps d’adulte. Ça a duré sur plusieurs années », témoigne, sans s’attarder, le journaliste de 44 ans.

Amnésie traumatique

De cette période, il garde, comme beaucoup de victimes, l’amnésie traumatique et le souvenir de son incapacité à réaliser « l’emprise » et la réalité des viols. « Il y a cette voix qui te dit “ tu étais consentant ”, “ tu y retournais ”, et la culpabilité. Ensuite, il y a eu plein d’étapes, avant que je comprenne pourquoi à chaque fois ça se terminait aussi mal, pourquoi je me détestais, pourquoi je m’auto-mutilais ».

À 13 ans, Nicolas Martin « lance une première alerte », après avoir vu, « paniqué », une émission à la télé sur le début de l’épidémie de sida. Il parle du voisin un soir à ses parents. « On est en 1989, la pédophilie ça n’existe pas. Au collège, on mettait en garde contre l’héroïne, mais pas contre les prédateurs sexuels. Ils le prennent comme un aveu d’homosexualité et ne comprennent pas que c’est un rapport forcé ».

À 17 ans, « ça s’arrête ». « Je suis maigre, très mal, rongé par les pulsions, je m’invente des vies ». Le jeune homme rencontre une fille « dont il est fou amoureux » pendant trois ans et voit pour la première fois un psy, « pour me convaincre que je ne suis pas homosexuel ». « Et puis je pars faire mon Erasmus en Espagne, c’est le moment où la dissociation s’estompe. Je rencontre un garçon, ça commence à aller un peu mieux ».

« Tu étais un enfant »

Bien avant les réseaux sociaux, la parole de l’autre est déjà celle qui libère. « À mon retour en France, je retrouve pour un café une amie de fac qui, elle, a été agressée par son père et qui me dit : “ toi aussi tu devrais porter plainte. Tu étais un enfant ” ».

Son traumatisme, qu’il pensait avoir réglé, lui saute à la figure, crûment : «  À 26 ans, je mets enfin le mot de pédophile. Je réalise que je n’avais pas fait ma puberté, que j’ai faite à 15 ans. Et que le mec était excité par un corps d’enfant. Et je réalise que plus je grandissais, plus mon corps le dégoûtait ».

« D’un seul coup il n’y a plus de doute sur le viol, sur cette sexualité anormale. Ma culpabilité disparaît complètement », complète Nicolas Martin.

Les policiers lui expliquent qu’il y a déjà prescription pour les faits avant ses 13-14 ans, que ce sera parole contre parole et qu’il lui reste deux ans pour porter plainte. Nicolas Martin renonce, « trop fragile » pour affronter la machine judiciaire ou pour que l’on « dissèque » sa vie. Pour son agresseur, il ne veut pas la prison, mais « qu’il se fasse soigner ».

« Aujourd’hui, je suis solide sur mes pattes, c’est une partie intégrante de qui je suis. Comme pour beaucoup de victimes de viols, c’est le paradoxe de ce truc qui m’a détruit et qui est aussi un élément de ma construction ». Mais, dit-il, « quand je poste ce truc ce matin, je n’imagine pas la résonance ».

Le hashtag #MeTooGay a fait émerger en une journée des milliers de témoignages et a relancé un débat sur la culture du consentement au sein de la communauté LGBT+.

« Si à l’échelle de ma petite notoriété, ce mouvement permet d’avoir une parole amplifiée, j’espère qu’il permettra à des anonymes de se reconnaître et qu’ils comprennent qu’on peut survivre à ça, qu’ensemble on peut transformer le traumatisme en forme de combat », conclut Nicolas Martin.

Avec l’AFP