Jacqueline Audry, portrait sonore d’une réalisatrice avant-gardiste méconnue

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L’histoire l’a oubliée. Jacqueline Audry, seule femme cinéaste de l’immédiat après-guerre, a pourtant marqué le cinéma français par ses personnages de femmes émancipées, ses adaptations de Colette et son film « Olivia », mettant en scène un couple lesbien. Didier Roth-Bettoni lui consacre un documentaire passionnant sur France Culture.

Portrait de Jacqueline Audry / Roger Forster - Collection Cinémathèque Française

Après ses documentaires sur le sida et la création artistique et sur le cinéaste Derek Jarman dont il est le grand spécialiste, le journaliste et historien du cinéma Didier Roth-Bettoni continue son travail de mémoire radiophonique en s’intéressant à la figure méconnue de Jacqueline Audry dans un documentaire passionnant sur France Culture. 

« Cela me sidère de voir comment la critique française s’acharne depuis toujours à éliminer les femmes de son histoire, explique Didier Roth-Bettoni pour justifier son choix. Entre Alice Guy dont on commence à parler et Agnès Varda, il y a eu Jacqueline Audry qui a réalisé 16 longs métrages, deux séries télés et qui a fait tourner les plus grands acteurs et actrices de son époques, qui a adapté Colette ou Sartre. Personne n’en parle même pas le numéro spécial sur les femmes réalisatrices des Cahiers du Cinéma paru l’an dernier  ».

« Ce sont des femmes libres, émancipées, qui parlent de sexualité, refusent le schéma traditionnel, cela a joué en sa défaveur ! »

Outre le fait d’être une femme dans un monde d’hommes, Jacqueline Audry est aussi victime de son audace selon le journaliste : « Tous ses films ne parlent que de femmes qui ne sont ni des faire-valoir, ni des femmes fatales. Ce sont des femmes libres, émancipées, qui parlent de sexualité, refusent le schéma traditionnel, cela a joué en sa défaveur. Et elle a fait partie de toutes celles qui ont été éliminées par la Nouvelle Vague alors que ses films sont bien meilleurs que beaucoup d’autres de la même époque et qui sont célébrés. On peut relire les articles écrits par Éric Rohmer sur ses films et qui sont d’une violence misogyne hallucinante. Le cinéma de la Nouvelle Vague est un cinéma misogyne et les mots de Rohmer en sont la preuve ».

Huit heures d’entretien

Didier Roth-Bettoni a mené près de huit heures d’entretien et regroupé plus de deux heures d’archives pour dresser le portrait en 55 minutes de cette pionnière qui s’est aussi illustré par son traitement très novateur de l’homosexualité féminine avec son film-culte Olivia en 1950. « C’est la première à avoir réalisé un film ouvertement lesbien. Olivia est un film dingue ! Il se passe dans une école de jeunes filles dirigée par un couple de femmes qui est présenté comme tel sans que cela ne soit allusif. Elles vivent ensemble et se séparent et l’une d’entre elles flirtent ouvertement avec toutes les jeunes filles de l’école qui sont toutes amoureuses d’elle. Et il n’y a pas un homme à l’horizon ! Ce que racontent les intervenants et intervenantes dans le documentaire, c’est qu’à partir du moment où elle a fait Olivia, tout est devenu plus compliqué pour elle, pour réunir des budgets et continuer à tourner  ». 


Pour aller à la rencontre de cette réalisatrice oubliée, Didier Roth-Bettoni a fait appel à des expert.e.s passionnant.e.s :  de Jackie Buet, la directrice du festival de Films de Femmes de Créteil à Brigitte Rollet, autrice de Jacqueline Audry, la femme à la caméra (publié par les Presses Universitaires de Rennes), en passant par Clara Laurent, spécialiste du cinéma français classique, Frédéric Maget, directeur de la Maison de Colette et Tania Capron, médiathécaire à la Cinémathèque Française. Se dessine au fil du documentaire le portrait d’une femme à l’image de ses héroïnes : libre et moderne. « On sait peu de choses d’elle mais elle est née en 1908 et a été mariée trois fois, remarque le journaliste, ce qui est assez rare pour l’époque. Elle a même choisi d’élever son fils toute seule et en continuant à travailler. Il n’y pas que dans son cinéma que cette femme s’est affranchie des codes sociaux de l’époque. Son parcours est incroyable aussi bien humainement que professionnellement. Elle a notamment été la première femme membre du jury au festival de Cannes en 1963 ! Elle était très présente à la radio et à la télévision à l’époque, c’est fou qu’elle ait été à ce point oubliée ! ».  

Ce documentaire n’est, selon Didier Roth-Bettoni « qu’une première petite pierre à l’édifice », qu’un début, en espérant que les instances mémorielles du cinéma français, redécouvrent enfin, elles aussi, la filmographie oubliée de Jacqueline Audry, figure émancipatrice injustement rayée de l’histoire. 

Jacqueline Audry (1908-1977), la disparue du cinéma français

Documentaire radio présenté dans le cadre de l’émission Toute une vie

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