3 questions à Douce Dibondo et Anthony Vincent du podcast « Extimité »

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Douce Dibondo et Anthony Vincent sont les créateur.trice.s d'« Extimité », un podcast qui donne la parole aux personnes minorisées pour qu'elles prennent le temps de raconter leur histoire.

Douce Dibondo et Anthony Vincent Extimité
Douce Dibondo et Anthony Vincent, les créateur.trice.s du podcast Extimité - Extimité

« Extimité » est un podcast natif indépendant créé en 2018 par les journalistes Douce Dibondo et Anthony Vincent (qui ont aussi collaboré à Komitid). Ce podcast donne la parole aux personnes minorisées, en raison de leur identité de genre, sexuelle, leur condition physique ou mentale, et toutes autres formes d’oppression systémique. À raison d’un épisode d’une heure tous les 15 jours, un.e invité.e plus ou moins anonyme raconte son vécu.

Komitid : Comment vous est venue l’idée d’Extimité ?

Douce : L’idée d’Extimité part d’un constat plutôt simple. Les voix des personnes racisées, en situation de handicap, LGBTQI, ne font pas partie du paysage médiatique français où les éternels vécus sont rabâchés, où l’on entend toujours la majorité se raconter et d’une certaine manière, tisser l’Histoire depuis sa tour d’ivoire. Pour moi il était urgent de donner la parole aux personnes minorisées socialement pour qu’elles racontent avec leurs mots leur expérience. Et dans le même temps, l’idée n’était pas de recueillir une parole purement scientifique, je voulais qu’on zoome sur ces vies que l’on décrit bien trop souvent à travers des statistiques et des chiffres, loin de leur réalité concrète. Extimité, c’est dire l’expérience de la marginalité en disant « je ». Après avoir élaboré les grandes lignes du podcast, j’ai contacté Anthony pour un verre afin de réfléchir de manière commune au podcast. Et c’est lui qui proposera le nom qui sied bien au but du podcast…

Anthony : Plus qu’un nom, Extimité est une notion issue de la psychanalyse qui structure entièrement le projet de notre podcast. Cela renvoie au désir de rendre visible une partie de sa vie intime afin de mieux se l’approprier. Douce est venue me voir avec l’idée d’un podcast autour de l’estime de soi et de l’ego, qui devait se centrer autour des personnes afro-descendantes. Pour rejoindre l’aventure, je lui ai proposé d’élargir le spectre des invité.e.s potentiels à toutes les origines et oppressions systémiques afin qu’elles racontent comment elles se sont construites. Un pari ambitieux qui peut aussi nous rendre difficile à cerner. Puisqu’on y parle de féminisme, de personnes LGBT+, d’handicap, de races sociales, ou encore de santé mentale, les médias ne savent pas dans quelle case nous ranger. Alors qu’on ne fait qu’ouvrir le micro à des personnes de la vraie vie, sans les interrompre, pour qu’elles maîtrisent leur propre narration. Avec une personne oppressée qui s’approprie son vécu par épisode, on forme ainsi le journal extime d’une génération.

Comment décidez-vous du choix des sujets et des invité.e.s ?

Anthony : Avec pour point d’honneur d’alterner les identités de genre et les origines, on parle forcément de sujets différents d’un épisode à l’autre. Cela nous évite de tomber dans l’écueil journalistique de vouloir faire rentrer un témoignage dans un angle auquel on voudrait à tout prix coller. Et nous permet au contraire de montrer à quel point derrière une même étiquette, il y a mille et une façons de la vivre, de l’incarner ou de s’en émanciper. Par exemple, la drag queen Yuni (épisode 5), l’artiste Kelsi (épisode 11), ou encore le sexothérapeute Morgan (épisode 34) sont toutes les trois des personnes qui se reconnaissent sous le mot parapluie “transgenre”, mais la première est genderfluid, la deuxième non-binaire, et la troisième un homme. Que Kelsi soit asiatique et Morgan noir nous en dit long également sur la différence des attentes genrées vis-à-vis des personnes asiatiques ou noires et leurs répercussions dans un parcours de transidentité. Cela peut paraître compliqué et jargonneux résumé comme ça, mais c’est justement tout l’intérêt du podcast : prendre le temps de raconter et d’expliquer les choses, les unes après les autres, sans être pressé.e.s par des enjeux de programmation d’antenne radio ou télé, ni des calibrages de presse écrite. En partant du vécu, des concepts de socio paraissent alors limpides.

« En se livrant pendant une heure, les invité.e.s s’inscrivent dans un temps long, iels ont le temps et trouvent le rythme pour une introspection partagée. »

Douce : Tout à fait. L’expérience en temps que personne minorisée est large et plurielle, il ne peut pas y avoir de parole type sur ce qu’est le vécu d’une femme noire et celui d’une personne non-binaire asiatique, qui lui n’est pas le même qu’une femme sud-asiatique. En se livrant pendant une heure en moyenne, les invité.e.s s’inscrivent dans un temps long, iels ont le temps et trouvent le rythme pour une introspection partagée. Forcément, il y a une mer de nuances qui s’écoule à travers leur parole. Vouloir contenir cette mer dans un angle c’est, d’une certaine manière, nier leur individualité… même si celle-ci est traversée et vécue en société.

Quel.le.s sont les invité.e.s qui vous ont le plus marqué ?

Anthony : Les invité.e.s nous ont toutes et tous marqué.e.s chacun.e à leur façon. Celui de Baba, psychologue malien, m’a étonnamment réconcilié avec moi-même. Parce qu’il parle de psychophobie (combien les problèmes de santé mentale sont tabous et stigmatisés) et de l’importance de prendre soin de sa santé mentale, surtout quand on est une personne queer et/ou racisée. Et aussi parce qu’il y parle de sa demisexualité (il ressent une attirance sexuelle pour une personne seulement s’il a d’abord pu tisser un lien émotionnel d’abord avec elle), et de l’incompréhension que cela suscite dans notre société. L’entendre dire ça m’a fait réaliser à quel point j’étais fatigué de tenter de correspondre à l’hypersexualisation qu’on plaque trop souvent sur moi : en tant qu’homme, en tant que gay, et en tant que noir. Et à quel point je néglige ma santé mentale.

Douce : On a eu beaucoup de questions concernant les invité.e.s les plus marquants. Sur un moment, j’ai pu être marquée par le récit de Sun, femme queer, exilée, super punchy. Puis celui de Paya, meuf noire, musulmane très pédagogue et analytique face à son vécu. Tout comme Marina, meuf blanche en situation de handicap physique m’a mis face à mon validisme. Wolky, homme noir, gay et médecin, et Thérèse, chanteuse asiatique bi, m’ont époustouflé par la justesse et la précision de leur introspection. Et peut-être que dans quelques temps en réécoutant le podcast, les récits d’autres personnes vont résonner, faisant écho à une situation ou un sentiment dans ce moment.

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