3 questions à Elisabeth Lebovici, cofondatrice de Lesbiennes d'intérêt Général

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« Les lesbiennes n’apparaissent pas de façon visible dans l’immensité des personnes touchées, dans leurs vies précaires, par le coronavirus. Il faut qu’on s’y mette, toutes. C’est aussi une urgence de visibilité. »

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Créée en 2016 par des lesbiennes, la LIG – Lesbiennes d’Intérêt Général est un Fonds de dotation qui a « pour ambition d’aider les lesbiennes à financer et décupler leurs initiatives, encourager leurs projets, susciter des vocations, et agir pour notre affirmation individuelle et collective. »

Depuis quatre ans, la LIG a financé des projets en particulier sur la santé des lesbiennes. En cette période de coronavirus, les responsables de la LIG constate les effets de l’épidémie sur les lesbiennes les plus fragiles.
Une des fondatrices de la LIG, l’historienne et critique d’art, l’activiste Elisabeth Lebovici a répondu aux questions de Komitid, à l’occasion de la journée de visibilité lesbienne.

 

Komitid : La LIG lance un appel à dons. Pourquoi ?

Elisabeth Lebovici : La LIG est un fonds de dotation, qui a pour mission de récolter de l’argent pour financer des projets lesbiens, c’est plutôt une construction à long terme. Nous avons d’abord lancé fin mars un appel pour connaître des initiatives lesbiennes agissant au sein de la pandémie du coronavirus, et éventuellement les aider. Mais c’est difficile de se réunir et de « pondre » un projet dans la situation actuelle. Tout le monde a la tête sous l’eau. Nous avons donc décidé d’agir directement et d’ouvrir une cagnotte. L’urgence est là. La situation est dramatique. Les remontées que nous avons font état de difficultés à tous les niveaux – vous en avez relayé certaines : des jeunes lesbiennes contraintes de demeurer dans des familles lesbophobes ; des lesbiennes licenciées en première ligne ; des lesbiennes plus âgées confinées sans pouvoir se ravitailler, qui ne peuvent compter que sur la solidarité ; des situations désespérantes parmi les lesbiennes réfugiées ou demandeuses d’asile, qui n’ont plus rien à manger, ni pour se loger. Cet état des choses est parti pour durer. Les associations font ce qu’elles peuvent auprès de leur réseau. Mais les lesbiennes n’apparaissent pas de façon visible ou identifiées dans l’immensité des personnes touchées, dans leurs vies précaires, par le coronavirus. Il faut qu’on s’y mette, toutes. C’est aussi une urgence de visibilité.

« La solidarité lesbienne, on la connaît, on en connaît l’envergure. Cependant, ce qui manque cruellement, ce sont des structures qui ont suffisamment de fonds et de forces vives pour organiser l’urgence à plein temps. »

Comment vont être utilisés les fonds récoltés et quelles sont les urgences que vous avez identifiées ?

On les reversera à des associations qui travaillent avec des lesbiennes en grande détresse matérielle ou psychologique, celles qui prodiguent une aide directe aux plus précaires et aux plus vulnérables, et notamment les personnes réfugiées ou migrantes, mais aussi toutes celles qui ont travaillé « gratuitement » et qui sont aujourd’hui indemnisées « à la hauteur de ce qu’on ne leur a jamais versé » (pour piquer le slogan des artistes-autrices). On pense à des réseaux comme Les lesbiennes dépassent les frontières ou l’ALDA à Toulouse, ou encore Les Bavardes à Amiens. Certaines associations, comme les Dégommeuses ont demandé une aide à la Fondation de France (et l’ont obtenue) pour permettre à ses membres les plus précaires de s’acheter de quoi manger et payer le loyer : seize en ont déjà fait la demande. C’est dire aussi la profondeur de leur dénuement. La solidarité lesbienne, on la connaît, on en connaît l’envergure. Cependant, ce qui manque cruellement, ce sont des structures qui ont suffisamment de fonds et de forces vives pour organiser l’urgence à plein temps. Nous savons que l’urgence est là pour durer longtemps. Il faut absolument que nous reconnaissions comme un travail, et qu’il soit comme tel rémunéré, l’organisation du lien entre les personnes en détresse et ces fonds, qu’ils proviennent de la solidarité privée ou de fonds publics, de fondations ou d’instances gouvernementales.

Vous déplorez l’absence de structures fortes, avec des personnes salariées, sur les thématiques propres aux femmes lesbiennes. Que réclamez-vous ?

Effectivement, à l’Est de l’Europe, on peut trouver des organisations lesbiennes plus structurées qui peuvent assumer la charge d’organiser cette aide. Je vous donne un exemple recueilli par l’une des fondatrices de la LIG, Silvia Casalino, grâce au réseau d’EL*C (Eurocentralasian Lesbian Community). Celui d’Insight, en Ukraine, qui dispose d’une dizaine de salariées environ. Elles ont basculé leurs activités online et ont vite croulé sous les demandes. Mais tout de suite, elles ont pu rendre complètement gratuites les consultations psy et d’avocat.e.s, pour celles qui ont perdu leur emploi et doivent utiliser des armes légales. Elles ont installé des antennes dans plusieurs grandes villes où la situation était beaucoup plus compliquée, qu’il s’agisse de distribution de nourriture ou de remboursement d’abonnements téléphoniques. Si on se demande pourquoi à l’Ouest de l’Europe et en France, par exemple, la réponse communautaire à l’épidémie du coronavirus est si faible, il est assez facile de se rendre compte qu’en situation de crise, faire avec des bouts de ficelles n’est pas productif. Quand on est soi-même précarisée et en difficulté, on n’a pas toute son énergie à jeter dans l’activisme. Et on reste invisible, impossible à identifier et à aider par des instances gouvernementales ou non gouvernementales. Vous voyez, partout, dans les communautés LGBTQ+ comme, par exemple, dans le champ des travailleur.euse.s de la culture, la rémunération du travail est encore une notion extraordinairement difficile à installer. Cela me paraît impossible de continuer comme ça. Nous appelons les quelques pouvoirs publics, allouant des subventions à certains événements LGBT+ qui ont été annulés, à massivement reverser cet argent aux militantes pour permettre de salarier certaines et d’organiser au plus vite une réponse structurée à l’épidémie. Des vies sont en danger. Si rien n’est changé, elles le resteront. En attendant, nous lançons cet appel à dons.

 

Pour participer au fonds spécial de la LIG pour soutenir les lesbiennes pendant l’épidémie, allez sur le site de la LIG