Matthieu Orléan, de la Cinémathèque française : « Au cinéma, il y a souvent un lien entre les vampires et l'homosexualité »

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Commissaire de l'exposition « Vampires, de Dracula à Buffy » à la Cinémathèque Française, Matthieu Orléan nous parle des thématiques LGBT+ dans ce genre marquant du cinéma.

« Vampires, de Dracula à Buffy » - Exposition à la cinémathèque de Paris/Cinémathèque

Cette semaine dominée par Halloween pourrait vous conduire à la magnifique exposition que la Cinémathèque française consacre aux vampires au cinéma et dans les séries. Intitulée Vampires, de Dracula à Buffy, cette exposition raconte l’histoires des vampires et leur pouvoir d’attraction qui a depuis longtemps débordé le cadre du cinéma, contaminant la peinture, la photographie, la littérature ou plus récemment la série télé. Les personnages ou les thématiques LGBT+ ne sont pas absentes de ce genre cinématographique. Au contraire. C’est que confirme Matthieu Orléan, commissaire de l’exposition, à Komitid.

Komitid : Quelle est la place des gays et des lesbiennes dans le cinéma vampirique ?

Matthieu Orléan : On sait bien que les vampires sont une métaphore de toutes les transgressions (religieuse, sociale, sexuelle…). Au cinéma, il y a souvent un lien entre les vampires et l’homosexualité, l’exemple de Carmilla qui est représenté dans l’exposition Vampires, de Dracula à Buffy est très intéressant. Généralement, on rend hommage à Dracula, célèbre roman de Bram Stoker mais on a tendance à oublier le texte de la littérature anglaise gothique Carmilla de Sheridan Le Fanu (1872).

À la différence de Dracula où l’on y trouve beaucoup de prédation et de danger, Carmilla traite l’histoire d’une femme vampire (Carmilla) qui se rend dans un institut de jeunes filles et qui tombe amoureuse d’une jeune femme. Carmilla va peu à peu la contaminer et la transformer en vampire. Cette histoire est très intéressante car elle mêle vraiment une dimension amoureuse à la dimension vampirique. Il y a du danger mais aussi un aspect beaucoup plus affectif et sensuel qui s’installe entre les deux femmes.

Le livre Carmilla a été l’objet de nombreuses interprétations libre du roman en mettant en scène une vampire lesbienne. Parmi ces adaptations, on peut citer celle de Roy Ward Baker avec The Vampire Lovers (extrait ci-dessous, ndlr), Et mourir de plaisir de Roger Vadim, La Mariée sanglante de Vicente Aranda et La Comtesse noire de Jesùs Franco.

 

« Certains films mettent aussi en scène la transgression et l’homosexualité, il y a parfois des scènes d’ambiguïté sexuelle ou même burlesque. »

Certains films mettent aussi en scène la transgression et l’homosexualité, il y a parfois des scènes d’ambiguïté sexuelle ou même burlesque. Dans Le Bal des Vampires de Roman Polanski, film très populaire à l’époque, il y a un jeune vampire qui affirme son homosexualité. Mais deux films sortent du lot en terme de mise en scène et d’intrigue qui chamboule la question de l’hétéronormativité.

Dans Entretiens avec un Vampire, de Neil Jordan, avec Tom Cruise, Brad Pitt et Kirsten Dunst, l’homosexualité est plutôt entre les lignes. Il s’agit d’une histoire d’amour entre un vampire et un humain qui finissent par adopter une jeune fille qu’ils ont contaminée. Le trio finit par former une sorte de famille homoparentale. Le sujet est assez trouble dans le film mais il a beaucoup marqué la communauté au moment de sa sortie.

Dans Les Prédateurs, de Tony Scott, avec Catherine Deneuve et David Bowie, l’homosexualité est plutôt abordée par une histoire d’amour entre deux femmes. C’est l’histoire d’un vieux couple de vampires qui vit dans le luxe et la débauche. Le mari (David Bowie) est confronté à une maladie qui l’entraîne dans un processus de vieillissement accéléré. Sa femme (Catherine Deneuve), finira par tomber amoureuse d’une femme médecin qui enquête sur la mystérieuse maladie. Ce film a aussi été important pour la communauté LGBT.

 

En quoi la série Buffy contre les vampires a-t-elle révolutionné les codes vampiriques ?

Buffy contre les vampires a révolutionné l’univers du cinéma vampirique car la série a renversé pas mal de codes du genre déjà bien installés. D’une façon générale, on retrouve dans les films de vampires une majorité d’hommes, phallocrates, prédateurs, virils qui contaminent des proies féminines. Avec la série Buffy contre les vampires, c’est tout le contraire… On retrouve une jeune femme plutôt sympathique, dans l’air du temps, dans un campus universitaire avec toute sa bande de copains. Elle est élue et formée pour chasser les vampires. Dans un autre contexte, Buffy, cette jeune femme blonde aurait pu être la cible parfaite pour tout vampire. Ce qui est intéressant et novateur, c’est que l’intrigue est plus axée sur les chasseurs de vampires plutôt que sur les vampires eux-mêmes.

Comment la thématique du sida est-elle abordée dans le cinéma de vampires ?

On remarque qu’il y a des grandes modes de cinéma vampirique et notamment avec la crise du sida dans les années 80. Le vampirisme parle beaucoup de contamination et du rapport au sang qui fait partie du code génétique du vampire. Cela a donc été évidement une métaphore pour parler du sida. Il y a eu beaucoup de films pendant cette période qui ont montré une population de vampires souvent pauvres et marginaux atteints d’une mystérieuse maladie mortelle. Dans Les Prédateurs, le vieillissement accéléré et la maladie de David Bowie font clairement penser au sida même si le mot n’est jamais prononcé. On peut interpréter ce film comme une réponse, en fiction, à la maladie.

L’exposition « Vampires, de Dracula à Buffy » à la Cinémathèque française, du 9 octobre au 19 janvier 2020