« Vita et Virginia », l'histoire d'une passion entre écrivaines au décollage tardif

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Les deux comédiennes qui ont la lourde tâche d'incarner ces deux géantes de la littérature sont excellentes mais il est dommage de devoir attendre les 20 dernières minutes pour que le film décolle vraiment.

Gemma Arterton (Vita Sackville-West) et Elizabeth Debicki (Virginia Woolf), dans « Vita et Virginia », de Chanya Button
Gemma Arterton (Vita Sackville-West) et Elizabeth Debicki (Virginia Woolf), dans « Vita et Virginia », de Chanya Button

La réalisatrice britannique Chanya Button s’est lancé un défi de taille pour Vita et Virginia, son deuxième long métrage après Burn, burn, burn en 2015. Celui de raconter la brève passion entre les autrices Vita Sackville-West et Virginia Woolf. Cette histoire d’amour entre deux femmes de lettres est hors du commun dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres. Cette passion mettant en scène une Vita volontariste face à une Virginia hésitante et troublante trouve son point d’orgue dans la publication par Woolf de son premier grand succès, l’un de ses chef d’œuvres littéraires, Orlando, et dont le personnage principal androgyne et ambivalent lui a été directement inspiré par Vita.

Malheureusement, avant d’en arriver à la création et à la publication de cet ouvrage mythique qui donne une force incroyable à cette passion lesbienne, la réalisatrice a tenu à raconter l’histoire depuis le début. Vita et Virginia consacre donc l’essentiel de son scénario à nous raconter par le menu : la fascination de Vita pour Virginia alors qu’elle a, à l’époque de leur rencontre, beaucoup plus de succès ; la longue phase d’approche qui, bien que directe, semble durer des heures ; et la concrétisation charnelle et intellectuelle de leur passion à laquelle on a du mal à croire.

Le film assume le parti pris d’un académisme lourdaud qui colle assez peu aux tempéraments des deux héroïnes, aplatit la portée « révolutionnaire » du propos et enchaîne les fautes de goût.

Dès le début et ses plans sur une imprimerie en marche à la colorimétrie sépia, le film assume un parti pris qui mixe un académisme lourdaud qui colle assez peu aux tempéraments des deux héroïnes, aplatit la portée « révolutionnaire » du propos et enchaîne les fautes de goût. Les scènes oniriques sont relativement incongrues (une attaque de corbeaux imaginaires venus de nulle part ou de plantes menaçantes sur le parquet) et le choix de restituer les échanges épistolaires ou littéraires en filmant les deux comédiennes « récitant » leurs écrits face caméra, la moitié du visage floutée par un effet digne d’un cinéma d’un autre temps parachèvent l’impression de passer à côté de l’essentiel. Car ce qui fonctionne mieux, c’est, d’une part un choix de musiques qui réaffirme la modernité du propos et des personnages via un anachronisme bienvenu, ou, d’autre part, les portraits assez radicaux des entourages des deux héroïnes. À saluer la présence de la toujours exceptionnelle Isabella Rossellini – remember Blue Velvet de David Lynch, en mère de Vita.

Mais si, sur le fond, il est intéressant de s’attarder sur les relations de couple plus traditionnelles dans lesquelles sont engagées Vita et Virginia, qui évoluent dans des sphères intellectuelles et bohèmes, assumant, jusqu’à un certain point, leurs libertés, le film semble bien respectueux des règles patriarcales et épouse, parfois peut-être malgré lui, la parole supposément sacrée des maris, leurs façons d’autoriser ou non les femmes à agir.

Ordre teinté de nuances libertaires

Dans cet affrontement entre l’ordre établi teinté de nuances libertaires, et la véritable liberté qu’expriment les deux amoureuses, on touche via quelques scènes, l’un des deux enjeux les plus passionnants du film. En étant plus précis sur l’écriture et l’imbrication de ses arcs narratifs, Vita et Virginia aurait pu être un film passionnant sur l’empêchement mais les choix de mise en scène, trop souvent « old school », cette phase de séduction répétitive sur le mode « Suis moi je te fuis, fuis moi, je te suis » qui ne se donne même pas la peine de sublimer la concrétisation de cette passion diluent le propos de clichés rebattus. D’autant que malgré les efforts des deux (très bonnes) comédiennes, Gemma Arterton et Elizabeth Debicki, on met énormément de temps à croire à leur passion fusionnelle. C’est dans ses vingt dernières minutes que le film décolle et saisit enfin : la sortie d’Orlando, le roman né de cet amour, qui va bouleverser leur relation et devenir l’objet même de la trahison à double-sens, arrive malheureusement bien tard alors qu’il aurait du être le pivot majeur de l’histoire, son moteur.

Ces vingt dernières minutes qui concentrent tous les enjeux du récit de la fascination à la trahison, en passant par l’arrivée d’une rivale, sont impressionnantes de force. Dommage que cela ne soit pas le cas des 90 minutes qui les précèdent.

Vita et Virginia
Réalisation : Chanya Button
Distribution : Gemma Arterton, Elizabeth Debicki, Isabella Rossellini, …
Drame historique – Royaume-Uni- 1h50
En salles le 10 juillet 2019