Seule en scène, Constance Dollé, femme debout, malgré tout, dans « Girls and Boys »

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L’adaptation parisienne de ce monologue de l’auteur britannique Dennis Kelly par la comédienne Constance Dollé constitue l’une des expériences théâtrales les plus dingues de ce début d’année.

Constance Dollé, dans « Grils and Boys », mise en scène de Melanie Leray - Pascal Victor/ArtComPress
Constance Dollé, dans « Grils and Boys », mise en scène de Melanie Leray - Pascal Victor/ArtComPress

L’adaptation parisienne de ce monologue de l’auteur britannique Dennis Kelly par la comédienne Constance Dollé constitue l’une des expériences théâtrales les plus dingues de ce début d’année. Confidences d’une femme qui se livre en totalité sur sa vie, considérations sur la masculinité toxique, rires, rage, drame. Komitid a rencontré l’actrice Constance Dollé, qui embarque chaque soir le public du Petit Saint-Martin sur un roller coaster émotionnel inoubliable.

 

Quand le public pénètre dans le théâtre, Constance Dollé, qu’on connait surtout pour ses rôles dans les séries comme Un Village français et Baron Noir, et qu’on verra bientôt au cinéma dans L’État sauvage, (annoncé comme un western français et féminin) est déjà à table pour son (presque) seule en scène. Elle est souriante, et parle à ses invités, quatre personnes, des spectateurs volontaires pour figurer ses amis d’un soir, sont en effet assises à ses côtés sur scène. « Je ne suis pas tout à fait Constance la comédienne ni tout à fait le personnage à ce moment-là, précise l’actrice, mais il faut que j’ai l’air détendue pour les mettre à l’aise. Après, je prends appui sur eux en fonction de ce que je chope de leurs réactions ».

En légèreté

D’un coup, sans prévenir, elle entame le texte de cette pièce à un personnage. D’abord en légèreté, la femme raconte à ses invités sa vie amoureuse, ses frasques sexuelles avec drôlerie et modernité. Extrait : « C’était ma période baise et défonce. Et je dis baise pas cul, c’était pas comme les gentils petits plans cul dont on parle avec ses potes homos comme dans Sex and the City ».
La trame de fond réside en une analyse extrêmement fine, et toujours via l’histoire intime de cette femme, de la domination masculine dans la vie de couple, le travail, et de ce que cela peut induire : jalousie, violence, destruction, folie. « Cette femme est toujours dans une forme d’interrogation », nous explique Constance Dollé. « C’est une observatrice de son époque et de sa vie qui s’est débarrassée d’une forme de violence. Sortir de la haine, de la violence, de la révolte parait impossible quand on ne cultive pas autre chose ».
Viennent alors sur la table (ou plutôt autour) les affres de la masculinité, et par extension de l’espèce humaine (« Peut-être la seule espèce qui tue sans raison, à part les chats ? », s’interroge la comédienne), sa toxicité quotidienne, évolutive, jusqu’au drame ultime qui s’abat sur le spectateur avec force.

« La pièce interroge la place de l’homme, de la femme, ce que l’éducation nous as transmis, comment on éduque nos enfants… »

« La domination masculine est au cœur de la pièce, et surtout le fait même que ce soit un discours qui ait été intégré par la majorité et que cela doit encore être questionné. C’est devenu un fait et cela interroge notre capacité à réfléchir notre environnement. Comment on peut en arriver à en venir aux mains pour une place de parking ? Pourquoi 95 % des actes violents ou des meurtres de masse sont commis par des hommes ? Mais la pièce n’est pas un manifeste anti-hommes ! Ma metteuse en scène parle d’une pièce féministe, moi, comme je l’incarne, je manque de recul sur le sujet. La pièce interroge la place de l’homme, de la femme, ce que l’éducation nous as transmis, comment on éduque nos enfants… Donc j’ai le sentiment que la pièce est avant tout humaniste, puisqu’elle part de l’expérience intime de cette femme sans s’arrêter au fait divers ».

« Grils and Boys » avec Constance Dollé, mes Melanie Leray - Pascal Victor/ArtComPress

« Grils and Boys » avec Constance Dollé, mes Melanie Leray – Pascal Victor/ArtComPress

Flashbacks d’une force immersive impressionnante, dialogues en parallèle avec les invités et ses deux enfants, Constance Dollé livre une incarnation du personnage et du texte de haute volée magnifiée par la mise en scène sobre et singulière de Mélanie Leray. « Ce qui est génial, précise Constance Dollé, c’est que j’ai l’impression de faire monter le public sur un tourniquet et de pousser. Cela requiert une énergie phénoménale mais c’est une façon incroyablement subtile de la part de l’auteur de faire entendre au spectateur ce qu’il ne peut pas entendre. Il n’y a pas un seul temps de pause. C’est comme si j’ouvrais un robinet et qu’à un moment je coupais complètement la flotte ! Le public ne s’y attend pas. C’est un face à face sans concession avec l’horreur. Mon personnage est un vecteur, comme une espèce de projecteur qui impressionne la rétine, la chair, la peau des personnes qui l’écoutent. Cette hémorragie de la douleur est quelque part héroïque ».
Grâce, subtilité et émotion, c’est le trio gagnant de Girls and Boys et, surtout, la confirmation du talent d’une comédienne absolument hors-du-commun.

Girls and Boys, de Dennis Kelly, avec Constance Dollé, mise en scène Mélanie Leray, jusqu’au 16 mars au Théâtre du Petit Saint Martin (75010 Paris).