5 bonnes raisons de (re)voir « Yentl », le film culte de Barbra Streisand

Publié le

Premier film co-écrit, produit, réalisé et interprété par une femme, « Yentl », sorti en 1984 en France, revient dans une version restaurée. Comédie musicale aux allures de conte philosophique qui met en scène le travestissement d’une jeune fille en étudiant, ce film de Barbra Streisand a marqué l’histoire du cinéma à plus d’un titre. Retour sur une œuvre culte.

Barbra Streisand et Mandy Patinkin dans « Yentl » -
Barbra Streisand et Mandy Patinkin dans « Yentl » - Lost Films Distribution

« Romans pour les femmes, Livres sacrés pour les hommes, beaux livres d’images pour les femmes ». L’enjeu de Yentl est affirmé dès l’ouverture quand le vendeur de livres d’une carriole harangue la foule au milieu d’un marché dans une ville d’Europe de l’Est au tout début du XXème siècle. Pour Anshel, jeune femme juive qui prend soin de son père mourant et passe le plus clair de son temps au marché ou dans la cuisine, ces livres religieux, interdits aux femmes, sont l’ultime symbole du savoir et de l’émancipation. Son père est compréhensif et initie son éducation religieuse, une fois les rideaux fermés car, affirme-t-il, « Dieu comprendra, pour les voisins je suis moins sûr !  »

1. Un mariage religieux entre femmes

À la mort de son père, la jeune femme coupe ses cheveux, enfile une petite paire de lunettes rondes (symbole de l’érudition et d’une certaine forme d’insoumission de John Lennon à Harry Potter !), et se couvre d’une casquette. Habillée comme un jeune homme, la poitrine bandée, Yentl quitte son village. Sa décision est prise, puisqu’on refuse aux femmes d’intégrer les Yeshiva, ces établissements d’enseignement du Talmud et de la Torah exclusivement masculins. Là, sous son nouveau nom de Yentl, elle va parvenir à se retrouver dans les arcanes tant rêvées du savoir, mais également au cœur d’un triangle amoureux étonnant. Elle rencontre en chemin le très séduisant Avigdor (interprété par Mandy Patinkin, revu depuis dans Princess Bride ou encore dans les séries Esprits criminels et, depuis 2011, dans Homeland) dont elle tombe amoureuse tout en incarnant socialement la “bromance” parfaite, et Hadass (Amy Irving, vue dans Carrie au bal du diable et, plus récemment dans la série Alias), promise à Avigdor que Yentl/Anshel va même devoir épouser donnant lieu à une scène inédite de mariage religieux entre femmes.  Yentl connaîtra son acmé dans une longue et belle scène de « coming out » Streisand/Patinkin, bouleversante par son propos comme par l’écho qu’elle aura sur la communauté queer.

2. Des quiproquos émouvants

Le film sort en 1983, et ces quiproquos jouant sur les rôles sociaux et le genre, tantôt drôles, tantôt déchirants, vont au-delà, en termes d’émotion,  de ceux vus l’année précédente dans Tootsie de Sydney Pollack et Victor, Victoria de Blake Edwards qui se positionnaient sur un terrain plus divertissant. Mais ces jeux scénaristiques sur le genre révèlent ici les questionnements forts de Streisand sur la place des femmes dans la société contemporaine.

3. Une héroïne sacrificielle

L’imbroglio amoureux se résoudra par une victoire sans appel de la raison sur la passion. L’amour de l’héroïne doit se taire et, pour que son idéal, l’instruction des femmes, s’accomplisse, le sacrifice et le départ vers une contrée lointaine s’imposent. L’auteur de la nouvelle originale, prix Nobel de littérature en 1978, qui voyait son héroïne comme une figure éprise de religion plus que de liberté goûtait peu cette vision et a fait part à l’époque de son désaccord avec la fin réécrite par la star, comme avec le parti-pris d’insérer des chansons dans le récit. Isaac Bashevis Singer déclarait au New York Times en 1984 : « Imaginez un scénariste qui déciderait qu’au lieu de se suicider, Madame Bovary fasse une croisière sur la Côte d’Azur ou qu’Anna Karénine épouse un millionnaire américain. (…) Et bien c’est ce qu’a fait madame Streisand avec Yentl » ! Il faut dire qu’à sa version du scénario proposée à Streisand, une fin de non-recevoir avait été rapidement opposée.

4. Un rêve de 14 ans

L’icône Streisand a mis près de 14 ans à réaliser son rêve d’adapter la nouvelle d’Isaac Bashevis Singer, Yentl, the yeshiva boy, parue en 1962, pour en faire la comédie musicale d’émancipation qu’elle imaginait. Première femme de l’histoire hollywoodienne à être à la fois productrice, réalisatrice et interprète principale d’un film, elle succède à Charlie Chaplin et à Warren Beatty et ne se fait pas que des amis. Elle enregistre les chansons dans un premier temps et, une fois les producteurs convaincus, lance le tournage en avril 1982. Vingt-six semaines entre les rues de Prague pour les extérieurs et les studios londoniens seront nécessaires. Le film n’a esthétiquement rien de révolutionnaire mais la mise en scène est parfaitement maîtrisée. Les jeux de clair obscur, les mouvements de caméra aériens, les envolées musicales et une photographie très léchée vont dans le sens d’une espèce de lyrisme classique à dominante sépia qui donne à la comédie musicale les allures d’un conte populaire. Et il faut reconnaître que le classicisme formel revendiqué de l’œuvre lui confère une certaine forme d’intemporalité qui va de paire avec les thématiques traitées.

5. La musique oscarisée de Michel Legrand

Le film, qui sera un grand succès public lors de sa sortie dans les salles américaines le 18 novembre 1983 (et en avril 1984 en France), est quasiment ignoré lors de la cérémonie des Oscars qui ne récompensera que Michel Legrand et ses paroliers pour leur travail sur les chansons du film. Celui qui fit chanter le tube « Papa, can you hear me ? » à Barbra Streisand, qui n’a jamais connu son père, se souvient de sa détermination dans son livre J’ai le regret de vous dire oui  : « Quand Agnès Varda me disait : « Mais comment une femme de 40 ans peut-elle incarner une jeune fille de 20 ans qui se fait passer pour un garçon de 17 ans ? », Barbra me rassurait : « Dis-toi que ces obstacles sont autant de défis à relever ! », il n’existe pas de réponse plus streisandienne ». Un néo-adjectif qui exprime assez bien l’incroyable volontarisme de Barbra Streisand, star mondiale, démocrate et féministe convaincue qui est aussi et depuis très longtemps, l’une des plus grandes alliées à Hollywood des luttes LGBT+.

 

Yentl

Réalisation : Barbra Streisand
Drame musical – Etats-Unis – 1983 – 2h13
Distribution : Barbra Streisand , Mandy Patinkin , Amy Irving, Nehemiah Persoff

Sortie en salles de la version restaurée le 12 décembre 2018