Elisabeth Perez, productrice et membre du jury à Chéries-Chéris : « les projets qui m’intéressent sont souvent ceux qui donnent la parole aux minorités »

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Productrice attitrée de Catherine Corsini, Elisabeth Perez est membre du jury fiction de la 24ème édition du festival Chéries-Chéris. Rencontre expresse autour du cinéma LGBT+ avec une productrice engagée.

Elisabeth Perez, productrice, est cette année membre du jury de Chéries-Chéris / Romane Boogerts

En ce dernier jour de Chéries-Chéris 2018, rencontre avec Elisabeth Perez, à la fois membre du jury et productrice du festival.

Vous considérez-vous comme militante dans votre travail de productrice ?

J’ai été militante, j’étais aux Jeunesses communistes à 15 ans, je tractais, j’allais dans les réunions mais j’essaie aujourd’hui d’être engagée par le travail que je fais, par les films que je produis. J’ai un peu peur d’aller dans les manifs. J’ai eu deux, trois mauvaises expériences, alors j’ai moins envie. Je me rends compte que les projets qui m’intéressent sont souvent de l’ordre de l’engagement, ceux qui donnent la parole aux minorités. C’est ça qui me donne de l’énergie parce qu’il en faut beaucoup pour produire des films en ce moment. On est dans une sorte de dictature du « feel-good movie » qui s’installe petit à petit.

Produire des films comme Jours de France ou La Belle Saison, c’est effectivement une façon de militer …

Pour La Belle Saison, on s’en est vraiment rendu compte à la sortie, quand il y a eu des critiques sur l’affiche. On aurait fait une affiche avec Cécile de France et Izia Higelin marchant côte à côte dans la rue, on aurait fait plus d’entrées ! Mais le film a quand même été vu par des personnes pas directement concernées par la question et je pense que c’est comme ça, petit à petit, que les mentalités avancent. Ce qui est intéressant dans ce les œuvres que je vois cette semaine à Chéries-Chéris, c’est que, souvent, le sujet du film n’est pas le fait que le personnage soit homosexuel ou pas. C’est posé là sans que cela soit central. Il faut qu’on aille vers des projets comme ça. En même temps quand on voit ce qui se passe dans la société, on assiste à un grand retour en arrière sur des choses que nous pensions acquises ou dépassées. On se rend compte que, quand il y a des tension sociales, quand ça va mal, les premiers qui sont restigmatisés et emmerdés sont les homos et les gens de couleur. Et les femmes !

Quel a été votre parcours pour devenir productrice ?

Je suivais des études de médecine et j’avais été pas mal affectée par la maladie dans ma famille. Je me suis écartée de ces études parce que cela me touchait trop et je ne voulais pas passer ma vie dans la maladie. J’ai fait du théâtre presque par hasard, suis partie en tournée et j’ai adoré ça ! Je suis arrivée de Lyon à Paris pour prendre des cours de comédie, mais je me suis rendue compte que ce qui m’intéressait le plus c’était de faire répéter des scènes. J’étais au cours Vera Gregh qui était assez renommée dans les années 80, c’était une grande dame du théâtre. Au moment où je devais tourner dans un film, je me suis cassée les deux bras et j’ai dicté le scénario d’un court métrage que j’ai réalisé grâce à deux jeunes producteurs qui sortaient de la Fémis (école de cinéma, NDLR). Ensuite, je suis devenue assistante-réalisatrice des gens de l’équipe qui faisaient leurs films et j’ai fait de la régie, de la direction de production avant de devenir productrice.

De quoi êtes-vous la plus fière dans votre carrière de productrice ?

Il y a un documentaire qu’on a fait pour Arte, Fille ou garçon, mon sexe n’est pas mon genre, qui donnait la parole à des personnes trans. La parole était très construite, les témoins n’étaient plus dans leurs questionnements intimes mais sur un niveau politique. Mais le film dont je suis au fond le plus fière dans le sens de mon engagement personnel c’est La Belle Saison, un film qui parle d’émancipation des femmes, qui montre une histoire d’amour entre filles et qui a dépassé je crois le seul public de la communauté lesbienne. Il y en a si peu. C’est surtout un film qui a de vraies qualités de cinéma. Et d’entendre dans certains débats des gens qui avaient manifesté contre le mariage gay nous dire qu’ils avaient aimé le film et qu’il allait les faire réfléchir et sans doute évoluer. L’autre film dont je suis le plus fière d’un point de vue qualité de production, c’est Un Amour impossible, un film cher, compliqué en terme de tournage, sur un sujet difficile.

Avez-vous quelques films LGBT+ cultes, ceux qui vous ont marquée profondément ?

Carol de Todd Haynes, c’est un film que j’ai regardé tellement de fois pour les plans, le jeu d’acteurs, le romanesque. Le plan de fin est un moment extraordinaire, c’est un immense film ! Il y quelques films qu’on a aimé parce qu’ils étaient les premiers mais si on les revoit aujourd’hui, on ne va pas les trouver super. Je pense à When Night is falling, ce n’ était pas un chef d’œuvre mais toutes les nanas attendaient ce film-là. Et je ne regarde pas les séries mais j’ai quand même regardé The L Word, parce que c’est culte !