Serbie : la communauté LGBTI+ réagit aux attaques de Belgrade contre l'Europride

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A la dernière minute, le président Aleksandar Vucic a demandé l'annulation de cet événement paneuropéen prévu samedi 17 septembre, ce qui a ravivé la colère de la communauté LGBTI+du pays des Balkans.

Site internet de l'Europride 2022 à Belgrade - capture d'écran

Vedran est ouvertement gay mais n’a jamais jugé utile de participer à la Pride annuelle à Belgrade. Cependant, lorsque le gouvernement serbe s’est montré hostile à la tenue de l’Europride à Belgrade, il a décidé de descendre dans la rue.

A la dernière minute, le président Aleksandar Vucic a demandé l’annulation de cet événement paneuropéen prévu samedi 17 septembre, ce qui a ravivé la colère de la communauté LGBTQI+du pays des Balkans, où le mariage des couples de même sexe n’est pas légal et où l’homophobie est profondément enracinée. Et renforcé la détermination des organisateu·rices.

“Si c’est annulé, on défilera quand même”, lance Goran Miletic, l’un des organisateurs de la marche des fiertés de Belgrade.

Vedran, qui considérait jusque ici que les Prides n’étaient que des “fêtes de rue” sans portée politique, pense que la manifestation retrouve son sens de combat sociétal.

“Pour la première fois de ma vie, je veux défendre ma liberté dans la rue car je n’ai aucune autre arme”, dit le responsable marketing de 28 ans à l’AFP, qui ne souhaite pas être identifié par son nom de famille. “On a besoin d’une manifestation car on a besoin de changement”.

Depuis des semaines, les tensions autour de l’Europride montent en Serbie, où des groupes d’extrême droite ont promis une contre-manifestation après avoir déjà organisé plusieurs défilés à Belgrade, attirant des milliers de personnes.

“La Pride c’est juste le dernier agissement en date des mondialistes. C’est la sodomisation de la Serbie et une attaque contre notre Eglise orthodoxe serbe, notre peuple et nos traditions”, a déclaré Dejan Djuric qui participait dimanche à une contre-Pride.

Homophobie rampante

Le ministère de l’Intérieur doit décider cette semaine d’interdire ou non la manifestation.

Sur le papier, la Serbie a pris des mesures pour lutter contre l’homophobie depuis la première manifestation LGBTI+, la Pride “sanglante” de 2001 baptisée ainsi car visée par des attaques de groupes d’extrême droite.

Iskra, un nom d’emprunt, se souvient encore avec effroi avoir vu “des hooligans battre quelqu’un et des images sanglantes aux informations”.

Mais cette femme de 50 ans ne regrette rien. Cette journée a ouvert la “voie à ceux qui se battent aujourd’hui”, se félicite-t-elle. “Heureusement, quelqu’un a repris le flambeau”.

Depuis, le pays a adopté des lois anti-discriminations et a accueilli huit Prides sans incident. La Première ministre serbe Ana Brnabic est ouvertement lesbienne.

Mais sous la surface, l’homophobie est rampante. Se tenir la main en public reste tabou pour les couples de même sexe tandis que près de 60 % de la communauté LGBTI+ dit avoir subi des abus physiques ou émotionnels, selon une étude publiée en 2020 par les ONG IDEAS et GLIC.

La puissante Eglise orthodoxe, qui influence de longue date l’opinion, a mis tout son poids dans la balance pour tenter d’obtenir l’annulation de l’Europride.

“Le mot même de famille est très clair. Il nous dit qu’un homme et une femme mus par le désir de ne faire qu’un sont entrés dans la communauté pour fonder une famille”, a lancé le patriarche serbe Porfirije devant des milliers de manifestant·es.

“La liberté ne peut être qu’universelle. Soit nous sommes tous libres, soit personne ne l’est”

Diversion

Le président Vucic, qui a promis de ne pas ratifier une loi sur la reconnaissance des unions civiles entre personnes de même sexe, a annoncé fin août qu’il voulait l’annulation de l’Europride, évoquant une série de problèmes comme les tensions au Kosovo et les inquiétudes sur l’énergie.

Dans le même souffle, il annonçait qu’Ana Brnabic était prolongée pour un troisième mandat de Première ministre.

Quelques heures après la déclaration présidentielle, un accord était annoncé à Bruxelles sur une concession faite par Belgrade à son ancienne province du Kosovo qu’elle n’a jamais reconnue.

Pour des analystes comme Koen Slootmaeckers, expert des politiques sexuelles en Serbie à la City University of London, ce calendrier témoigne de la volonté de Belgrade de faire diversion et de détourner l’attention des franges nationalistes de l’accord avec Pristina. En même temps, Aleksandar Vucic se sert d’Ana Brnabic “comme bouclier métaphorique” pour éviter “les accusations d’homophobie”, dit-il.

Mais la décision du pouvoir a semble-t-il galvanisé une partie de la société y compris hétérosexuelle qui a exprimé son soutien à l’Europride sur les réseaux sociaux et annoncé sa participation.

Nemanja Babic, un habitant de Belgrade de 42 ans, défilera avec sa femme et son bébé de quatre mois dans sa poussette.

Il reconnaît avoir quelques inquiétudes quant à la sécurité de l’événement mais dit vouloir en être à cause de ses amis “qui s’aiment mais ne peuvent devenir légalement une famille”.

“La liberté ne peut être qu’universelle. Soit nous sommes tous libres, soit personne ne l’est”, dit-il à l’AFP.