Camille Spire, Présidente de AIDES : « le·a futur·e Président·e de la République devra relever un défi crucial : contribuer à mettre fin à l’épidémie de VIH/sida en France d’ici 2030 »

Publié le

A 10 jours de l’élection présidentielle et alors que AIDES vient de lancer sa nouvelle campagne d’affichage intitulée « Aujourd’hui pour faire face au sida il n’y a aucun·e candidat·e » pour dénoncer l’absence du VIH/sida dans le débat public, Komitid a rencontré Camille Spire, la présidente de l’association.

Campagne d'affichage AIDES - AIDES
Campagne d'affichage AIDES - AIDES

Komitid : Comment expliquez-vous que le sujet du VIH/sida ne fasse pas partie des programmes des candidat·es à l’élection présidentielle ? L’épidémie de Covid est-elle responsable ?

Camille Spire : S’il est vrai qu’une « épidémie en a caché une autre », ce qui a eu des conséquences importantes sur la lutte contre le VIH/sida (baisse des dépistages, baisse des ordonnances de Prep), les raisons de l’absence du VIH/sida dans la campagne présidentielle sont à trouver ailleurs. Les sujets de santé ne font pas partie des grands thèmes abordés dans cette campagne, à l’inverse des débats sécuritaires ou sur l’immigration. À quelle fréquence entendez-vous parler des moyens pour l’hôpital public, de la qualité des soins, du coût des médicaments ou encore de la question de l’accès aux traitements ?

On sait aussi que les populations les plus exposées au VIH/sida sont toujours stigmatisées, et ne suscitent pas l’attention de bon nombre de candidat·es. L’homophobie, la putophobie, la transphobie, le racisme, sont toujours bien présents dans notre société, et écartent les problématiques de ces populations du débat public. Pourtant, c’est un enjeu majeur : plus de 170 000 personnes sont directement concernées par le VIH, et 24 000 l’ignorent ! C’est tout l’objet de notre campagne : alerter sur l’invisibilisation totale de ces enjeux de lutte contre le VIH.

Quelles sont les conditions de vie des personnes séropositives aujourd’hui en France (à quoi doivent-elles faire face) mais aussi dans le monde et en particulier pour les personnes LGBTI+ ?

Aujourd’hui, une personne vivant avec le VIH qui a accès à un traitement a une espérance de vie similaire à celle d’une personne séronégative. Elle peut vivre, fonder une famille, faire des rencontres, travailler et vieillir avec le virus, sans le transmettre. Pourtant, les préjugés sont tenaces. On sait qu’un français sur quatre serait gêné à l’idée de travailler avec une personne séropositive. Dans le domaine médical, la sérophobie est encore bien présente : plus de 30 % des personnes séropositives ont déjà fait face à un refus de soin chez le dentiste. Des discriminations qui s’ajoutent souvent à celles déjà subies par les populations les plus exposées au VIH (racisme, putophobie, homophobie…).

Dans le monde, la stigmatisation, la répression et la criminalisation mettent en danger les personnes LGBTQI+ et les éloignent du soin et de la prévention. Dans les pays où les relations homosexuelles sont criminalisées, les personnes séropositives conscientes de leur statut sérologique sont 11 % moins nombreuses que dans les pays où l’homosexualité n’est pas réprimée. L’accès au soin, et donc la possibilité d’avoir une charge indétectable, est également bien plus faible. Nous demandons pour cela l’arrêt total des expulsions et l’obtention des titres de séjour pour toute personne étrangère malade, ou persécutée en raison de son genre ou de son orientation sexuelle dans son pays d’origine.

Il y a eu récemment un effort fait pour l’assurabilité des personnes malades. Va-t-on dans le bon sens ?

La suppression du questionnaire médical pour les prêts de moins de 200 000 euros représente une avancée majeure. Une nouvelle importante qui va bénéficier à de nombreuses personnes, au-delà du champ du VIH. Nous restons néanmoins vigilant·es sur son application à venir car si c’est une mesure dont nous nous félicitons, elle ne bénéficiera pas à tous·tes les emprunteur·ses au vu des conditions de durée du prêt, de montant ou encore d’âge de l’emprunteur. Par ailleurs, elle ne s’applique pas aux emprunts professionnels pour les entrepreneur·ses vivants avec le VIH. Les personnes séropositives continueront donc à se voir appliquer, dans certains cas, des surprimes d’assurance. Celles-ci n’ont pourtant aucune justification médicale. Il faut en finir avec cette discrimination.

Depuis 2020, et la progression de l’épidémie de Covid, la lutte contre le sida marque le pas. Quelles peuvent en être les conséquences ?

Effectivement l’épidémie de Covid-19 a contribué à un fort effacement des enjeux liés au VIH dans l’espace médiatique et politique. Le retard pris en termes de diagnostics et d’accès aux traitements est documenté et fait l’objet d’alertes au plus haut niveau de l’État. Cette situation compromet l’objectif de la fin du sida prévue pour 2030, il faut réagir, notamment en cessant les politiques répressives qui éloignent du soin les personnes les plus exposées, et en valorisant les initiatives innovantes développées par les associations (comme l’envoi d’autotests à domicile).

Petit flash back : en 2002, lors de la campagne présidentielle, Act Up-Paris avait réalisé une campagne d’affichage en ciblant Lionel Jospin. Vous en aviez connaissance ?

Effectivement, notre campagne de communication pour la campagne 2022 peut se lire comme un clin d’œil à la campagne d’Act Up-Paris de 2002 qui montrait Jospin de dos avec un slogan très fort « En 5 ans, j’ai parlé 2 fois du sida et 2 fois j’ai menti. Pourrez-vous voter pour moi ? ». Elle s’inscrit aussi dans la continuité de la campagne de AIDES en 2012 qui montrait les candidat·es au côté d’un préservatif avec le slogan «  Voici deux moyens d’arrêter le sida. L’un a fait ses preuves, l’autre devra les faire en 2012 ».

Si ces campagnes semblent se répondre, c’est à vrai dire assez révélateur : les candidat·es aux élections présidentielles, pas plus que les médias généralistes lors de ces moments politiques importants, ne se préoccupent du VIH/sida. En réalité, une seule voix se fait entendre sur ces sujets lors des campagnes politiques : la nôtre. Il est temps que les militant·es, personnes concernées, personnes vulnérables et allié·es de nos luttes cessent de se battre seul·es. D’autant plus que le·a futur·e Président·e de la République devra relever un défi crucial : contribuer à mettre fin à l’épidémie de VIH/sida en France d’ici 2030.

Pour plus d’informations sur la campagne d’affichage : Présidentielle 2022 : #FACEAUSIDA, quel·le candidat·e ?