Corée du Sud : la croisade solitaire d'une candidate féministe à la présidentielle

Publié le

Élue députée à quatre reprises, Sim Sang-jung, 63 ans, est une ardente militante des droits des travailleur·euses, des femmes et des personnes LGBT.

Sim Sang-sung candidate présidentielle Corée du Sud
Sim Sang-sung - https://www.assembly.go.kr/assm/memact/chairman/chairman02/chrMov/chrMovView.do?boarditemid=1100383646

Un solide pedigree politique, un parcours dénué de scandale et parmi les meilleurs orateurs au Parlement : Sim Sang-jung semble plus que qualifiée pour être présidente de la Corée du Sud. Mais elle pâtit d’un lourd handicap : c’est une femme dans une société patriarcale.

Jusqu’à présent, dans ce pays demeuré conservateur, tous les présidents, à une exception près, ont été des hommes, de même que les deux seuls candidats ayant une chance de l’emporter à l’élection présidentielle de mercredi.

Élue députée à quatre reprises, Mme Sim, 63 ans, est une ardente militante des droits des travailleur·euses et des femmes.

Son parcours, qui n’est entaché d’aucun scandale, contraste avec celui de ses deux rivaux, Yoon Suk-yeol, du Parti du pouvoir au peuple (PPP, droite) et Lee Jae-myung, du Parti démocratique au pouvoir.

Qu’il s’agisse de liens avec des shamans douteux (Yoon Suk-yeol) ou de rumeurs de liens avec la mafia (Lee Jae-myung), les principaux candidats se sont tellement traînés dans la boue lors de la campagne électorale, que le scrutin a été qualifié d’“élection entre ennemis” par certains médias sud-coréens.

Pour autant, la cote de popularité de la sexagénaire n’a jamais dépassé les 10 %.

“La Corée reste une société patriarcale, et il est très difficile pour une femme politique de se hisser au sommet”, explique à l’AFP Gi-Wook Shin, professeur de sociologie à l’université de Stanford.

La seule femme présidente du pays, Park Geun-hye, “était une exception, qui a profité de l’héritage de son père”, le défunt dictateur Park Chung-hee, ajoute-t-il.

Société sexiste

Deuxième difficulté pour Mme Sim : elle représente un parti mineur et de gauche, le Parti de la justice.

La Corée du Sud est dominée par le système bipartisan, entre parti démocratique et PPP.

En outre, le programme du Parti de la justice – justice climatique, égalité des femmes, droits des personnes LGBT et bien-être des animaux – est considéré comme “radical” en Corée du Sud, ce qui le place en marge de la politique institutionnelle.

En tant que féministe autoproclamée, Mme Sim est l’antithèse de M. Yoon, du PPP, qui a annoncé vouloir supprimer le ministère de l’Egalité des sexes, estimant, malgré les données prouvant le contraire, que les femmes ne sont pas victimes de discrimination.

“Le sexisme existe clairement dans la société sud-coréenne”, a souligné auprès de l’AFP Sim Sang-jung.

Les commentaires de M. Yoon risquent d’attiser un dangereux sentiment misogyne et, à terme, de nuire à la démocratie sud-coréenne, a-t-elle ajouté. “Nous connaissons déjà les conséquences historiques des campagnes électorales qui encouragent la haine”.

Mme Sim a passé près de vingt ans au sein du tumultueux mouvement de défense des droits des travailleur·euses, entrant clandestinement dans les usines en tant qu’ouvrière pour organiser des syndicats alors qu’elle était étudiante.

En 1985, elle a aidé à mener une grève dans le complexe industriel de Guro, ayant ainsi figuré sur la liste des personnes les plus recherchées par le gouvernement autoritaire de l’époque.

Sa principale politique en tant que candidate à la présidence reflète ce contexte : elle propose une semaine de travail de quatre jours, un changement majeur dans une Corée du Sud obsédée par le travail, où les salariés travaillent de longues heures.

“Course de longue haleine”

Selon les sondages, c’est auprès des femmes âgées d’une vingtaine d’années qu’elle est le plus populaire, mais dans l’ensemble sa cote de popularité ne dépasse pas les 2 à 3 %.

Elle est considérée comme une héroïne pour certaines jeunes femmes, a expliqué à l’AFP Vladimir Tikhonov, professeur d’études coréennes à l’université d’Oslo, car elle a réussi à “articuler l’agenda des droits des femmes” dans un mouvement syndical dominé par les hommes.

Le Parti de la justice ne détient que six sièges à l’Assemblée nationale, en raison du système électoral uninominal à un tour.

Mme Sim a elle-même commis une erreur coûteuse : elle ne s’est pas exprimée lorsqu’une importante affaire de corruption a frappé l’administration sortante, faisant passer son parti pour complice, selon les analystes.

Les gens ont supposé qu’ils étaient “un partenaire de coalition du parti démocratique, plutôt qu’une alternative de gauche plus orientée vers les réformes”, selon Yesola Kweon, professeure de politique à l’université Sungkyunkwan de Séoul.

Mme Sim attribue sa faible popularité à son incapacité à convaincre les Sud-Coréen·nes de voir au-delà des choix politiques limités proposés par les deux principaux partis.

Bien qu’elle n’ait aucune chance de gagner, sa présence sur le bulletin de vote mercredi constitue “un symbole important”, a déclaré Sharon Yoon, professeur d’études coréennes à l’université de Notre Dame dans l’Indiana.

Elle cherche à changer le “système bipartite de Séoul qui fonctionne sur la politique de la personnalité et les loyautés régionales plutôt que sur les intérêts politiques”, a déclaré Yoon à l’AFP. “Elle joue une course de longue haleine”.