La Hongrie de Viktor Orban accusée de « double discours » sur la liberté d'expression

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La Hongrie mène désormais sa lutte contre la « cancel culture » au niveau européen en dénonçant les entraves des libéraux à la « liberté d'expression », tout en étant accusée de combattre à domicile les opinions qui divergent de la ligne du gouvernement.

Le premier ministre hongrois, Viktor Orbán - photocosmos1 / Shutterstock
Le premier ministre hongrois, Viktor Orbán - photocosmos1 / Shutterstock

Football, littérature, opéra… le pays multiplie les offensives depuis que le Premier ministre souverainiste Viktor Orban a lancé en 2018 un projet de «  nouvelle ère  » culturelle et intellectuelle visant à lutter contre le libéralisme. Et cette bataille s’est jouée dernièrement à plus grande échelle, prenant un tour diplomatique inédit avec la convocation d’un diplomate allemand pour dénoncer le limogeage par un club berlinois d’un entraîneur hongrois, pour des propos jugés homophobes et xénophobes.

« Dictatures libérales »

Budapest critique ce qu’il nomme une « censure » dans les démocraties occidentales, taxées de « dictatures libérales » selon l’analyste politique Patrik Szicherle, et dénonce une « culture de l’annulation » au nom du « politiquement correct  » visant à faire taire ceux qui portent ses valeurs.

Le sommet de l’État a ainsi fustigé Berlin, qui n’aurait rien retenu de son « passé totalitaire  » et piétinerait « l’État de droit » parce qu’un club de football a remercié son employé hongrois, selon les termes de Gergely Gulyas, le chef du bureau du Premier ministre.

Zsolt Petry s’était emporté dans le quotidien pro-gouvernemental Magyar Nemzet contre l’afflux dans l’Europe « chrétienne » d’un « nombre effroyable de criminels  ». Si cette escarmouche a suscité de vifs échanges au plus haut niveau politique, ce n’est pas la première fois que la Hongrie se livre à une joute culturelle avec des étranger·es.

En 2019, elle avait accusé de « racisme » les ayants droit de l’Américain George Gershwin, qui s’étaient émus d’une mise en scène de Porgy and Bess avec des interprètes exclusivement blancs, alors que le compositeur exigeait une distribution noire pour cet opéra sur la condition des Afro-Américain·es.

Plus récemment, le gouvernement a menacé de sanctionner Facebook et consorts, leur reprochant de « réduire la visibilité des opinions chrétiennes, conservatrices et de droite  ».

Selon des intellectuels, la Hongrie défend la pensée du philosophe marxiste Antonio Gramsci, qui dénonçait l’hégémonie culturelle des libéraux et proposait de retourner contre eux leur vocabulaire progressiste. À l’interdiction de toute discrimination fondée sur la couleur de la peau ou l’orientation sexuelle, juridiquement contraignante en Europe, elle oppose la garantie de la liberté d’expression par la charte des droits fondamentaux.

La Hongrie, « terre toxique »

Mais s’il pourfend la « cancel culture » chez ses partenaires européens, le parti Fidesz au pouvoir en Hongrie n’hésite pas à la pratiquer sur son sol, un « double discours  » pointé par les détracteurs de Viktor Orban. Les médias en sont les premières victimes : Reporters sans frontières évoque une « tentative d’État policier d’information au cœur de l’Europe » dans son classement annuel de la liberté de la presse publié mardi 20 avril, où le pays est tombé à la 92e place.

Des oeuvres sont aussi censurées, à l’image de la comédie musicale Billy Elliot sur un garçon voulant pratiquer la danse classique, décommandée en 2018 après avoir été accusée de « promouvoir l’homosexualité ». Et de nombreuses personnalités sont soumises à de fortes pressions ou réduites au silence.

Le gardien de but de Leipzig, Peter Gulacsi, a été vilipendé après avoir défendu en février les droits des couples de même sexe au mariage et à la parentalité, alors que Budapest a interdit de facto l’adoption aux couples de même sexe. Pour lui avoir apporté son soutien, un ancien footballeur international, Janos Hrutka, a perdu son poste d’intervenant sur une chaîne sportive, tandis qu’un commentateur sportif a été licencié en avril.

Dans les deux cas, des raisons administratives ou organisationnelles ont été officiellement invoquées.

« Personne en Hongrie ne dira jamais de manière transparente que quelqu’un est viré pour ses opinions politiques », souligne le journaliste sportif indépendant Gergely Marosi, interrogé par l’AFP. Selon Patrik Szicherle, toute personne qui « rend publique une opinion divergente » de celle du gouvernement et « brise l’unité » qu’on veut présenter au monde, s’expose à perdre son emploi ou à voir sa réputation ternie.

Ces derniers mois, la poétesse Krisztina Toth a été la cible d’une campagne de haine pour avoir proposé de rayer des livres scolaires un vénérable auteur classique dont la vision des femmes lui paraissait datée. Dans le journal autrichien Falter, elle a estimé que son pays était devenu une « terre toxique  », ce qui lui a valu des menaces de mort et le dépôt d’excréments dans sa boîte aux lettres.

Avec l’AFP