3 questions à Terrasses éditions sur le poète argentin Ioshua

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« Nous avons décidé de raconter une histoire dans la manière dont les textes s’enchaînent, présentant avec précision la beauté de l'écriture de Ioshua, la force de son désir comme la puissance de sa tristesse. »

Deux dessins de Ioshua, dans « Los Putos » / Terrasses Éditions

Auteur « pédé, punk, pauvre », c’est ainsi que les éditions Terrasses présente Ioshua, dont elles publient des œuvres dans le livre Los Putos. Mort en 2015, Ioshua n’avait jamais été traduit en français. C’est chose faite avec cet ouvrage. Terrasses éditions a aussi fait le choix de mettre en valeur le texte original en espagnol, le livre est présenté en version bilingue.

Nous avons demandé aux éditeur·rices de nous présenter cet auteur encore peu connu.

 

Komitid : Qui était Ioshua et pourquoi est-il un auteur important notamment dans le paysage de la culture LGBTI+ ?

Terrasses Éditions : Ioshua est un poète, un écrivain, un poète, éditeur de son propre travail. Il dessine, il performe, il est prostitué, il prend de la drogue, il vient des banlieues populaires et pauvres d’une mégapole sud-américaine. Il est mort prématurément en 2015. Il est selon nous important dans le paysage de la culture LGBTQI pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que les voix queer issues des quartiers pauvres, populaires sont rarement audibles. Si ces voix ne sont pas inexistantes, rares sont celles qui ont décidées de rester dans leur quartier, avec les leurs et qui décident que l’art ne leur servira pas de marche-pied pour rejoindre le monde privilégié. C’est une vraie question lorsque nous appartenons à une minorité historiquement maltraitée par le système dominant de réfléchir à la place qu’elle doit/veut occuper. De plus, nous pensons que Ioshua est un auteur important parce qu’il raconte c’est quoi être un « pédé », la vie homosexuelle masculine des marges avec ses beautés et ses douleurs, ses désirs parfois incessants et ces sexualités libérées, sales, excitantes, dans la rue, avec des inconnus mais aussi cette tendresse, cet amour entre hommes qui, dévoilée, défendue, ne peut que porter une valeur révolutionnaire dans un monde hétéropatriarcal, guerrier et sanglant. Dans les sociétés contemporaines occidentales, l’homme gay est appelé à se conformer à l’idéal familiariste, consumériste. Rendre visible ces voix qui portent d’autres chemins nous rappelle qu’il n’y a un pas un seul chemin vers l’émancipation et que, en tant que minorité, nous avons un rôle important à jouer, un rôle au sein des cultures marginales et un rôle actif face à la domination.

« Ioshua se réapproprie la langue espagnole pour en faire une langue cassée, inventée, libre »

Comment avez-vous sélectionné les œuvres présentées ?

C’est la rencontre avec L., une camarade uruguayenne, qui nous a permis de découvrir Ioshua et son travail. Lorsqu’on découvre son œuvre, il est très facile de vouloir tout présenter (comme l’a fait la maison d’édition argentine Bonsaï) mais la volonté d’en faire un livre accessible en terme de prix ainsi que ce désir de publication bilingue nous a donc poussé à faire des choix. C’est au final le collectif responsable de traduction au sein de Terrasses qui a choisi quelles poésies, romans courts, dessins et textes politiques seraient publiés. Nous avons donc décidé de raconter une histoire dans la manière dont les textes s’enchaînent, présentant avec précision la beauté de l’écriture de Ioshua, la force de son désir comme la puissance de sa tristesse. C’est un vrai voyage dans le cœur et le caleçon du poète. De manière quelque peu pragmatique, de nombreux textes et poèmes ont été traduits parmi ceux que dont nous jugions les plus réussis. Il est toujours assez compliqué de traduire une langue si empreinte d’argot, de déformation volontaire de la langue disons institutionnelle, car Ioshua se réapproprie la langue espagnole pour en faire une langue cassée, inventée, libre.

Pourquoi avez-vous décidé de publier les deux versions (française et originale espagnole) ?

Comme nous l’indiquons dans la note des éditeur·rices, la question de la traduction nous parait centrale, et au cœur du travail des Éditions Terrasses. En effet, comme la traduction en arabe de la poésie de la poétesse Algérienne Anna Gréki publiée en janvier 2020 (comme de nombreux artistes luttant pour la libération de l’Algérie, Gréki voulait rendre sa poésie au peuple et le peuple algérien parle arabe), il s’agit de conserver le texte original en espagnol pour d’abord célébrer le travail original que fait Ioshua dans sa langue ainsi que pour permettre d’enrichir les langues, créant une coexistence concrète et symbolique des langues et non pas une compétition ou une disparition. Les Éditions Terrasses se placent dans des perspectives internationalistes, veulent participer à un dialogue entre les peuples, entre les langues et à travers les frontières. Publier Ioshua en espagnol nous permet ainsi de proposer les livres ailleurs qu’en France et autoriser des circulations les plus larges des ouvrages. Publier ces oeuvres issues de la marge dans leur langue originale en plus de la traduction d’une langue de tradition coloniale nées hors de l’Occident se présente clairement comme un geste anti-impérialiste.

« Los Putos », de Ioshua, Terrasses éditions, 296 p., 19 illustrations, 13,50€.