GPA et confinement : enquête sur ces nourrissons privés de leurs parents

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La fermeture des frontières empêche des parents d’assister à la naissance de leur bébé conçu par GPA. En attendant la reprise des voyages, qui va s’occuper de ces bébés, sans sécurité sociale et parfois apatrides ?

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Image extraite de l'émission Envoyé Spécial

Ce jour-là, un petit garçon doit naître d’une mère porteuse dans l’état d’Oregon aux États-Unis. Ses deux papas, Mickaël et Ludovic, ne savent toujours pas s’ils pourront être auprès de lui lors de l’accouchement. En cette période de pandémie, les hôpitaux ont drastiquement réduit le nombre de personnes autorisées dans les hôpitaux. Les deux hommes sont déçus mais soulagés : ils ont bien failli ne pas pouvoir être auprès de lui du tout.

Course contre la montre

La journée du jeudi 12 mars n’a pas été facile pour Mickaël et Ludovic. Au réveil, ils découvrent que pendant la nuit, Donald Trump a annoncé la mise en place d’une interdiction d’entrée aux États-Unis pour toutes les personnes ayant séjourné dans l’espace Schengen au cours des 14 jours précédant leur arrivée prévue aux États-Unis.

Cette mesure sera mis en place le vendredi 13 mars à minuit. Etant donné le décalage horaire, il reste au couple une quarantaine d’heures pour y arriver et pouvoir accueillir leur bébé. Les lignes du service après-vente et de réservation sont débordées. Mickael fonce à la boutique Air France et réussit à changer leurs deux billets. « J’ai eu en face de moi des gens d’une gentillesse rare qui ont compris l’urgence de la situation », a-t-il expliqué à Komitid.

Pour autant, rien n’est encore gagné pour le couple. «  On ne savait pas si le vol serait maintenu, certains ont été annulés pour éviter qu’ils volent à vide au retour. Et une fois le vol confirmé, on a eu peur de ne pas pouvoir passer la douane. Personne ne savait ce qui allait se passer », ajoute-t-il. Finalement, le couple est arrivé vendredi à 18h17 aux Etats-Unis, quelques petites heures avant la fermeture du territoire. Ils ne leur restaient plus qu’à acheter des vêtements et équipements pour le bébé – les leurs étaient dans un camion de déménagement au moment de leur départ précipité – et d’attendre.

Ce changement de plan aura été coûteux. Entre le changement de billet d’avion, les deux semaines de logement en plus, l’extension de la location de la voiture, les achats pour le bébé et les coûts juridiques supplémentaires, le couple estime avoir déjà dépensé 5000 euros de plus que prévu. Mickaël se sait très chanceux, et pas que pour des raisons financières.

« Notre avocate aux États-Unis a tellement de parents concernés qu’elle a organisé un webinar. »

Grâce à son entreprise, il a pu se libérer et gérer la situation en urgence. Comme il se trouvait à Paris, il a pu se rendre à la boutique de la compagnie aérienne dès l’ouverture. Et grâce à son statut de voyageur fréquent, il n’a pas eu à faire la queue, sans quoi il n’aurait probablement pas eu de billets. Beaucoup de familles n’ont pas eu cette chance. « Notre avocate aux États-Unis a tellement de parents concernés qu’elle a organisé un webinar. Beaucoup n’ont pas pu arriver à temps », explique-t-il.

Des nourrissons seuls

Si Mickaël et Ludovic ont tout fait pour entrer sur le territoire américain, ce n’est pas que pour le plaisir d’assister à l’accouchement, de vivre leur rencontre avec leur enfant comme ils l’avaient idéalisée. « L’agence nous a dit qui si nous ne pouvions pas venir, il fallait que nous trouvions quelqu’un pour garder l’enfant pendant la période de confinement. Ca, ça nous a vraiment fait stresser. On ne connaît personne dans l’Oregon », explique Mickaël.

« On a eu peur un temps que les enfants soient mis à l’adoption si les parents ne pouvaient être présents », témoigne Catherine Clavin, avocate en droit de la famille et co-présidente de l’Association des parents et futurs parents LGBT (APGL). « Il semblerait qu’on a trouvé des solutions très temporaires pour ce problème. Mais les enfants restent dans une situation critique. Qui exercera l’autorité parentale ? Que se passerait-il si l’enfant est malade ? D’autant qu’aux États-Unis les soins sont abominablement coûteux », ajoute-t-elle.

En Ukraine, pays de prédilection pour les couples français hétéros qui a lui aussi fermé ses frontières, la situation est encore plus grave. Aux États-Unis et au Canada, l’enfant dispose de la nationalité locale à sa naissance, pas en Ukraine. Ainsi, tant que les parents n’ont pas pu déclarer l’enfant, celui-ci est techniquement apatride.

Théoriquement, les parents attendant la naissance de leur enfant conçu par GPA aux États-Unis et au Canada devraient pouvoir se rendre sur place puisqu’il existe une exemption au « travel ban » pour les parents d’enfants ayant la nationalité locale, mais ce n’est pas le cas dans la pratique. « L’ambassade des États-Unis à Paris nous a répondu que la qualité de parents ne sera acquise qu’à la naissance de l’enfant », explique l’avocate.

« Aux États-Unis, le problème n’est pas résolu, c’est devenu politique »

Les parents doivent donc attendre la naissance de l’enfant pour obtenir, grâce à l’aide de personnes sur place, un acte de naissance et ainsi pouvoir demander un visa pour entrer sur le territoire. Seul un lobbying politique permettrait de changer la réglementation, et c’est bien ce que tentent de faire des avocat.e.s américain.e.s. Au Canada, cette approche a fonctionné. Depuis le début de la semaine, les « parents d’intentions » d’un enfant conçu par GPA peuvent entrer sur le territoire avant sa naissance. « Aux États-Unis, le problème n’est pas résolu, c’est devenu politique », explique Catherine Clavin.

Difficile de savoir si et quand la réglementation changera étant donné le contexte actuel. Dans tous les cas, obtenir le visa adéquat pour les parents va prendre du temps. « Le problème c’est que le bureau de l’immigration est fermé. En Californie, même les tribunaux sont fermés », ajoute-t-elle.

Une administration aux abonnés absents

Entrer sur le territoire n’est pas seul le défi qui attend les parents dont les enfants conçus par GPA vont bientôt naître : il faudra aussi rentrer en France. En temps normal, les parents peuvent obtenir un passeport pour leur nourrisson en six à sept jours et ainsi rentrer en France. Mais en plein confinement, le bureau des passeports est fermé.

« Ils ne donnent des passeports qu’en cas de vie ou de mort, explique Mickaël. Notre avocat nous a dit qu’avec une lettre d’un pédiatre expliquant que le bébé devait rejoindre son pays de façon urgente, nous pourrions peut-être en obtenir un ». Si cela ne fonctionne pas, le couple compte se tourner vers l’ambassade de France. « Je doute qu’elle nous délivre un passeport pour notre enfant étant donné la nature hautement politique de la GPA dans notre pays, déplore Mickaël. Mais peut-être un laisser-passer ? » Cela pourrait fonctionner.

Cette semaine, une femme célibataire française dans la même situation a obtenu un laisser-passer de l’ambassade de France à Houston pour son nourrisson. Ce titre de voyage unique délivré par le pays dont le citoyen a la nationalité lui permet de rentrer dans le-dit pays. Encore faudra-t-il trouver un vol de retour. Quelques vols ont été maintenus dans les hubs aéroportuaires principaux du pays. Mickaël a passé cinq heures au téléphone pour changer ses billets. Mais encore une fois, rien n’est gagné : les vols sont fréquemment annulés. Mickaël et Ludovic essaient de ne pas trop y penser, l’important maintenant c’est de rencontrer leur bébé.

 

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