3 questions à Stéphane Sauvé, initiateur d'une Maison de la Diversité pour séniors LGBT

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« La Maison de la Diversité est une réponse solidaire et intergénérationnelle à l'isolement social, par l'expérience de vie en habitat participatif ouvert sur le quartier. L'idée est donc de bien vieillir chez soi, mais pas tout seul. »

Immeuble à Shoreditch, Londres - Ambitious Creative Co. - Rick Barrett/Unsplash
Maison pour séniors LGBT + à Shoreditch, Londres - Ambitious Creative Co. - Rick Barrett/Unsplash

« Comment vieillir dans les meilleures conditions, quand on est un sénior LGBT ? » Cette question préoccupe depuis un moment Stéphane Sauvé, ancien directeur d’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Il constate que cette problématique est rarement abordée par les pouvoirs publics et peu traitée par les associations. Avec un petit groupe de personnes concernées, il travaille très activement à la création d’une première Maison de la Diversité pour séniors LGBT autonomes. Il explique la genèse et la philosophie de ce projet à Komitid, et en trace les contours.

Komitid : Quelles sont les origines de votre projet ? Y a-t-il des exemples qui vous ont inspiré ?

Stéphane Sauvé : L’envie de créer une maison pour séniors LGBT remonte à plusieurs années. Le point de départ : plusieurs discussions entre amis, en fin de soirée ou lorsque l’un d’entre nous évoquait les difficultés rencontrées lors de l’accompagnement d’un parent en perte d’autonomie. Nous nous posions souvent ces questions : « Et nous, comment allons-nous vieillir ? Qui va s’occuper de nous ? Et si on achetait une grande maison pour vieillir ensemble ? »

Après avoir travaillé 15 ans chez un opérateur de téléphonie mobile, j’ai décidé en 2012 de mettre à profit mes compétences au cœur d’un projet professionnel à dimension humaine, solidaire et sociale. C’est ainsi que je suis devenu directeur d’EHPAD en région parisienne. Mon ambition était alors de comprendre le fonctionnement du champ médico-social et de maîtriser les politiques publiques concernant les personnes âgées, pour ensuite me consacrer au sujet des séniors LGBT. Plusieurs années d’engagements en tant que bénévole pour l’accompagnement en soins palliatifs et des personnes séropositives ont forgé mes convictions. C’est à dire l’indignation face au regard porté par la société envers les personnes âgées et colère face à l’injustice liée aux discriminations homophobes.

En 2013, Michèle Delaunay, Ministre déléguée aux personnes âgées, demande un rapport sur le vieillissement des personnes LGBT et des personnes vivant avec le VIH. Et là, c’est vraiment le deuxième déclic. Seuls 10 % des séniors LGBT ont des enfants et que 65 % vivent seuls. En 2017, frôlant un burn out, je décide de quitter mon poste… et de relever le défi du « bien vieillir » des séniors LGBT. Et c’est ainsi qu’est née l’idée de la Maison de la Diversité pour séniors LGBT autonomes, menée par un petit groupe de personnes intéressées.

J’ai ensuite interviewé une trentaine de séniors LGBT en France pour bien comprendre les difficultés rencontrées en raison de cet isolement social renforcé et pour identifier avec eux des pistes de solution. La Maison des Babayagas à Montreuil et la Maison de la Diversité de Berlin ont été de réelles sources d’inspiration pour ce collectif de séniors LGBT. Nous avons travaillé avec eux et elles pour rédiger le cahier des charges de cette Maison de la Diversité.

Quels sont les grands principes autours desquels va s’organiser cette Maison de la Diversité ?

La Maison de la Diversité est une réponse solidaire et intergénérationnelle à l’isolement social, par l’expérience de vie en habitat participatif ouvert sur le quartier. L’idée est donc de bien vieillir chez soi, mais pas tout seul.

« L’idée est de bien vieillir chez soi, mais pas tout seul »

Il s’agit, avant tout, d’un état d’esprit et d’un choix de vie dans un environnement sécurisant, exempt de LGBT-phobies, où la vie quotidienne d’une personne LGBT ne pose aucun problème ni à l’entourage, ni au voisinage. La Maison de la Diversité se définit selon cinq critères fondamentaux : Un habitat participatif inclusif d’une vingtaine de logements à la location, basé sur un projet de vie solidaire relatif au bien vieillir, des services de soins et des services d’aide à la personne, de l’intergénérationnel, des activités et services qui renforcent le lien social et enfin une dimension hétéro-friendly.

D’autres éléments seront, forcément, plus modulables, comme  la situation géographique, le projet architectural ou encore les activités proposées. Le projet Maison de la Diversité est conçu sur une première structure qui compterait 24 logements à Paris. Il sera habité par 80 % de séniors LGBTI autonomes ou faiblement dépendants de plus de 60 ans, et par 20 % de personnes de moins de 60 ans et/ou hétérosexuelles.

Un tel projet va susciter de nombreuses critiques. Que répondez-vous à ceux qui y verraient la création d’un ghetto ?

C’est effectivement la première remarque qui est généralement formulée et notamment par de nombreux groupes institutionnels qui s’intéressent au projet mais qui n’assument pas le risque d’image de s’associer à un projet LGBT.

Il y a plusieurs réponses possibles à tout cela. En dépit de l’évolution positive des droits et des mentalités, les séniors LGBT restent tous, plus ou moins marqués par la discrimination. Pour se protéger des jugements, des propos ou des actes homophobes, les plus âgés sont nombreux à se réinventer une vie hétérosexuelle ou à retourner dans « le placard ».

Mais aujourd’hui, on compte aussi parmi les « jeunes » séniors LGBT de plus en plus de personnes qui assument leur choix de vie et qui n’ont absolument pas envie de se cacher et de redevenir invisibles… Cette Maison de la Diversité est plutôt faite pour eux. Elle n’a pas vocation à répondre à l’ensemble des attentes des 1, 3 millions de séniors LGBT en France.

Quand on est LGBT, on choisit son lieu et son mode de vie. Vous pouvez avoir envie de vivre en province ou à Paris, dans des quartiers plus ou moins LGBT-friendly. Certain(e)s veulent vivre dans le Marais et « consommer » 100 % LGBT, acheter leur baguette de pain chez Legaychoc (ndlr : boulangerie gay du Marais à Paris)… Alors pourquoi après le passage à la retraite, nous n’aurions plus ce choix ?

« Le pari est donc de proposer un environnement sécurisant mais clairement LGBT »

Nous créons une réelle alternative aux résidences services séniors hétéro-normées. Libre ensuite à chaque sénior LGBT de choisir ou non si ce modèle lui convient. C’est un véritable choix stratégique de porter une réponse qui peut être perçue comme clivante mais qui fera bouger les lignes… Le pari est donc de proposer un environnement sécurisant mais clairement LGBT et de voir ensuite comment les autres séniors LGBT invisibles exprimeront leurs besoins. Voudront-ils que nous développions des réponses moins affinitaires dans des résidences services séniors actuelles ? L’avenir nous le dira… Quand on regarde ce qu’il se passe à Berlin : en 4 ans d’exploitation, 400 personnes sont en liste d’attente, deux autres établissements vont ouvrir cette année et en 2020… Pourquoi serait-ce différent en France ?

Même si nous prônons plutôt le droit à l’indifférence et non le droit à la différence et le caractère inclusif de notre Maison de la Diversité, arrêtons d’être hypocrites et assumons la dimension LGBT du projet et nos diversités.

Propos recueillis par Jean-Benoît Richard.